Roman

Blanchot et Heidegger

Blanchot et Heidegger ou d’une infinie rhapsodie

Le premier lundi du mois d’Hyacinthe

 

Une vie et des œuvres

L’un et l’autre sont incontournables. Nazi ou pas, Martin Heidegger est un philosophe substantiel. Hermétique ou pas, l’œuvre littéraire (essai et roman) de Maurice Blanchot est un moment décisif dans l’histoire des lettres françaises. Voir ainsi l’un se pencher sur l’autre, à travers ce volume de Maurice Blanchot, intitulé Notes sur Heidegger, c’est un moment de grâce où, pour reprendre un titre de l’auteur de L’espace littéraire, l’attente comme horizon et ouverture l’emporte sur l’oubli.

Blanchot et Heidegger Ou d’une infinie rhapsodie

Le volume, plus de 580 pages, est édité par Étienne Pinat, dans la collection « Corpus Blanchot », dirigée par Éric Hoppenot aux Éditions Kimé. Il nous faut d’abord saluer les différents travaux d’Éric Hoppenot qui a assuré l’édition, chez Gallimard, des Écrits politiques (1953-1993) de Maurice Blanchot, en 2008, et avec Jean-François Hamel, de Mai 68, révolution par l’idée, en 2018.

À la collection « Corpus Blanchot » s’ajoutent — toujours aux Éditions Kimé — les « Archives Maurice Blanchot », collection dirigée par Éric Hoppenot et Philippe Mesnard, dont le but est de « publier progressivement le fonds des archives de Maurice Blanchot composées de correspondances, d’inédits, de textes non réédités et de notes de lecture de l’auteur. De même, elle accueillera des études universitaires ou des essais ayant trait à l’œuvre de l’auteur ou aux grandes notions qui lui ont donné une place si singulière dans la pensée occidentale de notre temps. »

Plusieurs ouvrages ont donc vu le jour, dont on peut citer Traduire Kafka en 2019 et Thomas le Solitaire en 2022.

Heidegger, Blanchot et les autres

Blanchot et Heidegger Ou d’une infinie rhapsodie

Étienne Pinat, professeur agrégé de philosophie et collaborateur du site Actu-philosophia, est l’auteur de Les deux morts de Maurice Blanchot. Une phénoménologie, paru en 2014 aux éditions Zeta Books, et de Heidegger et Kierkegaard. La résolution et l’éthique, en 2018, chez Kimé.

Autant dire qu’il est la personne la plus appropriée pour assurer l’édition des Notes sur Heidegger de Maurice Blanchot. À ce titre, son introduction, à la fois dense et rigoureusement menée, nous explique les liens paradoxaux qui unissent l’auteur de L’Entretien infini avec celui de Sein undZeit. En effet, dans un article des années trente, Blanchot qualifie Heidegger de « rebut de la philosophie allemande », mais il en parle autrement dans sa lettre à Catherine David datée du 10 novembre 1987 et publiée en janvier 1988 dans Le Nouvel Observateur : « Grâce à Emmanuel Levinas, sans qui, dès 1927 ou 1928, je n’aurais pu commencer à entendre Sein undZeit, c’est un véritable choc intellectuel que la lecture de ce livre provoqua en moi. Un événement de première grandeur venait de se produire : impossible de l’atténuer, même aujourd’hui, même dans mon souvenir. »

Cette ambivalence est d’autant plus légitime qu’elle semble toucher un certain nombre de lecteurs de Martin Heidegger, à l’instar du poète résistant René Char qui, le jour même de la disparition du philosophe, mercredi 26 mai 1976, écrit : « Martin Heidegger est mort ce matin. Le soleil qui l’a couché lui a laissé ses outils et n’a retenu que l’ouvrage. Ce seuil est constant. La nuit qui s’est ouverte aime de préférence. » (Œuvres complètes, Pléiade, 1983, p. 725.)

Nous n’ignorons pasce qu’Éric Marty qualifie de « controverse » à propos de cette relation qui semble être « contre-nature », mais rappelons-nous ce que Maurice Blanchot écrivait à propos de l’auteur de La parole en archipel : « Dans chacune des œuvres de René Char, nous entendons la poésie prononcer le serment qui, dans l’anxiété de l’incertitude, l’unit à l’avenir d’elle-même, l’oblige à ne parler qu’à partir de cet avenir, pour donner, par avance, à cette venue, la fermeté et la promesse de sa parole. » (« La Bête de Lascaux », in Une voix venue d’ailleurs, 2002, p. 58)

Rhapsode, in extenso

Nous citons in extenso parce que les textes méritent d’être lus en entier et parce que tout travail digne de ce nom, qui plus est lorsqu’il est dédié à Maurice Blanchot, se doit de respecter les éclairages et les lumières nécessaires à la lecture d’une œuvre aussi monumentale que complexe. En témoignent les pages inédites dont sont constituées Notes sur Heidegger, « plus de trois cents pages pour l’essentiel tapuscrites du travail que Blanchot aura consacré de la fin des années 40 au début des années 60 à l’étude de l’œuvre de Heidegger et de la maigre bibliographie secondaire alors existante. »

Les dernières lignes de l’introduction d’Étienne Pinat nous révèlent cette richesse à la fois de et dans l’œuvre de Blanchot qui, allant au-delà de la lecture en langue allemande du corpus heideggérien, non seulement commente mais surtout traduit celle-ci : « Si les œuvres publiées témoignaient du fait que Blanchot fut l’un des grands lecteurs de Heidegger au XXème siècle, la découverte des archives et la parution du présent volume nous montrent qu’il en fut aussi l’un des grands traducteurs, véritable pionnier en ce domaine. »

Cela rappelle à notre bon souvenir ce passage de L’entretien infini, dans lequel Maurice Blanchot définit magistralement sa propre fonction d’écrivain, c’est-à-dire avant tout de lecteur, de commentateur et de traducteur, avec notamment l’usage du mot rhapsode en guise de sujet à la fois actif et universel : « Le critique est une sorte de rhapsode, voilà ce qu’il faut voir, rhapsode à qui l’on s’en remet, à peine l’œuvre faite, pour distraire d’elle ce pouvoir de se répéter qu’elle tient de ses origines et qui, laissé en elle, risquerait de la défaire indéfiniment; ou encore, bouc émissaire que l’on envoie aux confins de l’espace littéraire, chargé de toutes les versions fautives de l’œuvre, pour que celle-ci, demeurée intacte et innocente, s’affirme dans le seul exemplaire tenu pour authentique — d’ailleurs inconnu et probablement inexistant — conservé dans les archives de la culture : l’ œuvre unique, celle qui n’est complète que s’il lui manque quelque chose, manque qui est son rapport infini avec elle-même, plénitude sur le mode du défaut. »

Hyacinthe

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