Bleu d’août de Deborah Levy

Roman
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Roman Bleu d’août de Deborah Levy, traduction Céline Leroy, éditions du Sous-sol 2025. Deborah Levy est romancière, dramaturge et poétesse britannique.

Bleu d’août de Deborah Levy: le vertige intérieur d’une pianiste à la dérive

Par Djalila Dechache

Depuis 2020, c’est un bonheur régulier que nous offre les éditions du Sous-sol avec les ouvrages de cette autrice particulière. Deborah Levy est romancière, dramaturge et poétesse britannique. Dommage que le public français ne connaisse pas ses pièces de théâtre, ses recueils de nouvelles et de poésie.

Bleu d’août de Deborah Levy

Aujourd’hui voici le roman Bleu d’août, avec des personnages qui évoluent entre Athènes, Londres, Paris et la Sardaigne.

Elsa M.Anderson, une jeune pianiste virtuose, aux airs de danseuse étoile, vraie blonde, se teint les cheveux en bleu une semaine avant de la date de son concert réputé difficile « Concerto n°2 de Rachmaninov » ; envahie d’un vide absolu, la panne qu’elle n‘a pas vu venir, ses doigts refusent de jouer, elle quitte la salle en plein concert dans la salle à Vienne devant un parterre de mélomanes. Scandale ! Horreur ! Panique ! Sa carrière semble fichue. Pourtant ce concerto elle l‘avait joué une quantité de fois.

Celui qui lui avait appris à « détacher mon esprit de ce qui est ordinaire » Arthur Goldstein son mentor et son père de substitution à qui elle doit tout depuis l‘âge de six ans, lui avait dit : « J’ai eu l‘impression que tu n‘étais pas là quand tu es entrée en scène. Où étais-tu Elsa ? ». A quatre-vingt six ans, ce chef si fameux avait décidé de passer ses jours en Sardaigne. Elsa aura été sa dernière élève.

Elle est invitée à donner trois cours de piano sur l’ile de Poros en Grèce à Marcus, un adolescent de treize ans portant un tee-shirt jusqu’aux genoux et des tongs avec des marguerites en plastique sur les orteils.( détail important).

Steve, le père de Marcus se met à hausser la voix.  « Comme si parler fort ferait se faner les flamboyantes marguerites de plastique sur les chaussures de son enfant » Voilà un effet de style de Deborah Levy parmi d’autres, avec le souci du détail.

« Oui, j’enseigne pour payer mon loyer et m‘acheter des kebabs  en attendant la fin de la pandémie » ( du Covid).

Peu de temps après, elle se fait virer par le père de Marcus qui la juge trop iconoclaste dirons-nous, dans sa pédagogie il la surprend en train de danser avec son fils. Encore un échec ?

Dans le même temps, il lui arrive quelque chose d’assez déroutant, elle voulait acheter des petits chevaux de bois dansants (le détail est important) dans un marché aux puces d’Athènes, au même moment, elle se fait distancer par une autre cliente au chapeau noir. Instant suspendu, regards, elle a senti sa présence, « à onze heures du matin, elle me transmettait l‘humeur obscure et douce de minuit ». Elsa reste médusée par cette femme. Elles se suivront de temps à autres comme si Elsa avait vu en elle une revenante : « elle portait un imperméable ceinturé vert, il était identique au mien sauf que le sien avait trois boutons dorés cousus sur les manchettes ». Elles ont à peu de chose près le même âge. Elsa a l‘impression qu’elle « m’avait volé quelque chose. Quelque chose qui manquerait à mon existence ». Cependant, Elsa garde le chapeau noir oublié par la cliente, son double improbable.

« Elle était elle moi et j’étais elle »

Elle la suivant au cours du roman, la vie de la pianiste semble se heurter au passé qui lui remonte à la figure en plein présent. Et cela la paralyse, elle n’est plus maitresse d’elle-même, elle dérape, lâche prise, il semblerait que plus rien ne la retienne. Elle a 34 ans, les cheveux de couleur bleue, élancée, du charme, pas d‘amant, pas d’enfant. Elle est libre et prisonnière de son passé qui rejaillit sans crier gare. Bien sûr il y a Marcus qui veille un peu sur elle au plan professionnel.
Elle est atrocement seule, dans sa tête et dans son environnement. Cette femme rencontrée à la hâte commence à occuper son esprit, relève d’une gageure. Elle la retrouve à plusieurs fois et cela lui fait un effet des plus déroutants.
En peu de mots, tenter d’explorer ce livre à rebondissements d’une jeune femme en quête de son identité où plusieurs silences, les non-dits règnent.et ils font du mal.

Déjà dans son roman précédent Hot Milk, Deborah Levy   avait commencé à explorer les méandres de l’âme humaine, ce qui se passe à l’intérieur de soi. Ce roman a été adapté au cinéma, le film sortira en septembre 2025.
Le style littéraire de Deborah Levy n’est pas commun. Elle use d’images, de paraboles, de comparaison sans cesse, se pose sur les détails où elle y voit des signes importants de transformation d’une scène donnée, comme celle avec les marguerites sur les tongs en plastique. Ce roman est une belle réussite qui invite le lecteur à une introspection sans fard.

On découvre dans Bleu d’août une mélodie qui n’en finit pas de se jouer en catimini dans la tête d’une pianiste et qui déborde de sa vie, pleine de mélancolie.

Le roman
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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