Du Mektoub à la Destinée – Abdelkader Tiouti
Du Mektoub à la Destinée, roman d’Abdelkader Tiouti
Par Djalila Dechache
Dès le début de ce roman, le lecteur / la lectrice sait qu’il / qu’elle tient entre les mains une saga, une épopée qui commence lentement pour bientôt se déployer autour de personnages attachants. L’action se passe à Béchar, ville du Sahara algérien, elle aurait pu se passer ailleurs, partout dans le monde. Les protagonistes se trouvent dans un quartier, où de leur point de vue, il ne se passe pas grand chose, pourtant c’est la plus grande ville du sud-ouest du pays. La vie est lente pour un groupe de jeunes gens à l‘ennui aussi épais qu‘une galette de pain local. Ils sont sans but, regardent les gens passer, les filles de préférence, princesses inaccessibles. Il faut une fortune pour épouser l’une d’elles et en plus à la condition qu‘elle le veuille aussi.
C’est aussi une histoire à tiroirs qu’Abdelkader Tiouti a narré, une histoire localo-locale avec des distorsions véhiculant un autre visage de la religion musulmane dans un pays qui ne finit pas de cautériser ses plaies.
Et puis il y a Bouziane, un vieux de la vieille, qui revient de loin, de très loin, de sa mort au bout d’un fusil de soldat français qui lui laisse la vie sauve un jour de patrouille dans les bosquets de la ligne « Morice », lieu d’un terrain truffé de mines antipersonnel, le long de la frontière séparant l‘Algérie du Maroc, en pleine guerre d’Algérie.
Avec les années passées, Bouziane, est devenu la mémoire vivante , il a tout en mémoire, n’a rien oublié concernant l‘histoire du pays.
Il s’est mis en tête de retrouver le militaire qui l’a laissé décamper, ce dernier a ressenti un sentiment de compassion vis-à-vis de son jeune âge et son inexpérience face à l ‘ennemi. Bouziane ne peut oublier ce geste miraculeux.
Et puis il y a la voisine, Farida, qui tourne autour de l’un des deux jeunes hommes, elle veut se marier, Mourad n’y pense pas trop, il est ambivalent, il ne refuse pas ses avances appuyées et régulières mais il ne s’engage pas pour autant, tout à son projet de partir avec Slimane, rien ni personne ne peut l’en détourner.
Slimane et Mourad, ils sont cousins, préparent « un gros coup » en cachette de leurs parents cela va de soi, économisent à mort pour…brûler leur vie à bord d’une embarcation de fortune, pour se rendre de l’autre côté de la mer, leur montagne à franchir à eux.
Ils comptent sur Bouziane, ami de la famille pour convaincre les parents du bien-fondé de leurs intentions. Le vieux quant à lui a été chargé de les en dissuader. Un débat anime tout ce monde là pour finalement laisser partir ces deux fous, motivés comme jamais, faire comme des milliers de jeunes en Algérie et ailleurs appelés les Harragas, ceux qui brûlent leur vie, entassés sur un zodiac qui va traverser pendant de nombreuses heures, une mer Méditerranée monstrueusement dangereuse si souvent.
Comme on pouvait s’y attendre, la traversée fut difficile, ils arrivent néanmoins sains, saufs et fourbus en France, atteignent Montélimar, trouvent un travail exténuant dans une entreprise de transports, partagent ensemble un petit studio. Leur situation devient somme toute classique.
Sauf qu’ils ont une mission, ils ont promis au vieux monsieur, l’âme vivace de la ville et du quartier de retrouver Pierre Vantard, le militaire qui a laissé la vie à Bouziane il y a longtemps là-bas dans l’entre-deux. Ils doivent se rendre à Chalon-sur-Sâone. Ils sont invités à déjeuner, découvrent les us et coutumes français en matière de mets, de vins et de fromages, mais aussi de comportement, une grande découverte pour eux . Et puis il y a une jeune fille avec de grands yeux bleus. Entre Mourad et Liliane, le courant passe, leurs mains se joignent pour se saluer et c’est une décharge électrique qui passe aussi par les regards. Il y a de l’amour dans l’air ! D’autant que Mourad a appris que Farida s’est mariée avec son meilleur ami, nouvelle qui l’a vexé tout en sachant qu’il ne voulait pas s’engager avec elle. Les retrouvailles avec le français sont poignantes, les deux hommes des deux camps communiquent par Visio conférence et ils se voient, envahis par une grande émotion.
Du point de vue narratif, l’auteur opère à partir de choses vues, de vécus peu-être, traduisant une grande observation et une grande écoute. La langue est opulente, très précise, use de formules imagées, de références.
Le phénomène des Harragas touche le pays entier, est totalement viral, pas seulement depuis les villes du littoral, comme on peut le constater dans le livre d’Abdelkader Tiouti.
Un autre thème est abordé dans ce livre, celui du racisme, la terminologie coloniale reste de mise : sale raton, sale bougnoule et autres noms d’oiseaux, des bagarres s’en suivent, mettant à mal leur possible intégration administrative.
Pour revenir au très joli titre de cet ouvrage méticuleux, chacun sur terre tente de se construire une destinée afin de ne pas subir de qui est écrit à l’avance. Le jeu de mot entre ces deux termes Mektoub, et Destinée sont très bien vus dans la mesure où ces jeunes gens quels qu’ils soient veulent sortir du schéma que la vie, la famille, l’habitus imposent. Ils veulent déjouer ce qui a été tracé pour en devenir le maître. Sauf que parfois il arrive que le Mektoub est plus fort et que malgré les tentatives pour redresser les choses nous nous transformons en Oedipes face à l’oracle et face au déroulement véritable de la vie. Non, décidément l’exil violent, agressif ne’st pas une voie viable et sûre. Et puis il y a la voisine, Farida, qui tourne autour de l’un d’eux, elle veut se marier, Mourad n’y pense pas trop, il est ambivalent, il ne refuse pas ses avances appuyées mais ne s’engage pas pour autant, il est tout à son projet de partir avec Slimane, rien ni personne ne peut l’en détourner.
Souhaitons bonne chance à tous ces jeunes gens qui pensent que quitter son pays est une solution à tous leurs problèmes, vision fantasmée, idéalisée d’un monde meilleur, vision faussée également par les candidats à ce voyage infernal qui ont réussi : ils envoient des nouvelles à ceux restés au pays qui sont hautement erronées en faisant miroiter le fait qu‘ils sont atteints un eldorado, un pays de cocagne qui ne l’est plus depuis longtemps.
Non, décidément, l’exil aussi violent, aussi agressif n’est pas une voie viable et sûre. Combien d’entre eux remplissent de leurs corps les tréfonds de la mer pour finir sans sépulture.
Parfois, il suffit de changer le regard pour s’apercevoir qu’en restant chez soi, on est à sa place parmi les siens, on est plus efficace pour changer la face de sa destinée.
Le livre
Souffle inédit
Magazine d’art et de culture
Une invitation à vivre l’art