Kiffe Kiffe hier ? de Faïza Guène

Roman
Lecture de 8 min

Kiffe Kiffe hier ? Le roman de Faïza Guène

Par Djalila Dechache

Le nouveau Roman de Faïza Guène

L’édition de « kiffe kiffe hier? » est un événement au sein de la Littérature française en cette rentrée 2024.

Kiffe Kiffe hier ? de Faïza Guène

Il y a tout juste 20 ans, l’autrice avait écrit et édité Kiffe Kiffe demain, ( sans point d’interrogation) un roman qui a laissé des traces dans les esprits par ses 400 000 ouvrages vendus, traduit en 26 langues. C’est qu’elle avait lancé une nouvelle tonalité, un langage, un style vif, alerte, drôle, une nouvelle manière d’aborder le thème de l’immigration en Seine-Saint-Denis, dans le 93, soit le département le plus stigmatisé de France. Et pour cause, c’est un département construit de toutes pièces lors de la Décentralisation où se retrouvait une population rejetée de partout.

20 ans après, quoi de neuf ?

Sauf que 20 ans après, beaucoup de choses ont changé et le département a changé en gagnant une nouvelle image, une nouvelle identité, un nouvel avenir.
Doria, l’héroïne principale a mûri, elle s’est mariée à Steve, ils vivent à Bondy, elle est en instance de divorce ( comme un mariage sur deux en Ile de France ) avec un enfant de sept ans. Elle galère un peu, est fâchée avec les horaires de l’école de son enfant, elle arrive sans cesse en retard pour accompagner son fils, ce qui lui vaut les foudres de la directrice, elle a eu son permis in extremis, chouchoute sa voiture rouge, et réagi violemment lorsqu’un cycliste du genre frimeur avec son casque Décathlon a failli l’accrocher.
En fait, Doria peste contre la terre entière, elle est névrosée comme nous tous, elle a un avis sur tout, elle voit bien que de nouveaux commerces et une nouvelle population se sont installés au sein de l’ancienne ceinture de Paris.
Cette population est poussée vers la banlieue pour cause d’une offre immobilière qui a vu ses prix s’envoler, au contraire de la banlieue dont l’accès à la propriété reste encore accessible pour ces nantis prêts à s’y installer durablement avec leurs enfants.
La rencontre entre deux univers est évidemment cocasse, elle nomme le fautif sur son vélo de «gentrificateur » qui selon la situation et l’intonation de la voix peut être pris comme la pire des insultes.
C’est un peu normal : l’arrivée en masse de bobos en banlieue ne signifie pas que le monde des Bisounours y a élu domicile, chacun reste sur son pré carré !. C’est une cohabitation comme en politique.

« Acheter un appartement est un rêve de pauvre »

Ce qu’il faut dire aussi est que Doria défend son territoire, elle est hyper réaliste, refuse les aliénations qui l’engageraient à souscrire un crédit d’une durée minimale de 20 ans au moins jusqu’à la ménopause dit-elle, comme le voulait son ex-mari qui voyait là le moyen d’une ascension sociale.
Doria dit non plusieurs fois : « c’est un engagement de pauvre ». Elle a une vision des hommes assez intéressante : « Les hommes chouchoutés par leur mère ont un problème avec la sémantique », ils ne comprennent pas le sens du NON, alors que NON c’est NON.
Malgré cela, Doria a une vie sociale, de nombreuses interactions avec des personnages tous(tes) aussi bien trempé(e)s les un(e)s que les autres.
Faïza Guène retrouve ici sa faconde, son sens de la formule, avec plein de références historiques, littéraires, cinématographiques et un humour à dérider des gardiens de prison.

Elle utilise plusieurs langues selon les cas et les situations, notamment l’espagnol, l’italien, l’arabe.
Son esprit va vite, cela fuse, c’est du ping-pong verbal, cela valse, parce qu’en plus elle donne à son héroïne, une voix intérieure où cela déménage ! On rit beaucoup des expressions, on retrouve sa richesse langagière qui capte tout au vol, cela ressemble à un film, ou encore à un one Woman show, c’est très écrit, c’est bien écrit , on se régale.

La fête du langage pour supporter le réel

Faîza Guène et son personnage Doria me font penser à la Zazie de Raymond Queneau qui aurait grandi quelque part en France, avec son regard à la fois critique et drôle.
Faïza Guène s’amuse et nous amuse sur un thème grave et sérieux, l’ensemble donne une tonalité pleine de vivacité. En fait elle pense et écrit que l’immigré d’hier c’est fini, aujourd’hui il est informé, connait les codes de la société, refuse les aliénations, comprend ce qui se passe en terme de renouvellement générationnel, sociétal et économique.
Le changement est porté par la femme ce qui ajoute une dimension féministe au roman. Doria est une femme libre qui paie cher la rançon de cette liberté, c’est finalement le prix à payer de chaque femme immigrée ou pas. Le système patriarcal existe partout.
Lorsqu’elle rencontre des femmes de son quartier, il lui faut un moment pour répondre quand l’une d’entre elles lui dit de manière quelque peu sarcastique : « On ne voit plus beaucoup ton mari ».
Echange d’amabilité à l’allure de de vacherie de femmes qui se surveillent et sans emploi !
Doria répond que c’est parce qu’il travaille beaucoup!
Il est sûr que lorsque toutes les femmes des banlieues auront un emploi, ce sera une autre révolution dans ce département d’Ile-de-France qui a amorcé sa renaissance bien avant et avec les Jeux Olympiques 2024.
En tout cas, ce livre est réussi aussi pour une autre raison, il envoie un message positif sur les femmes dont les parents sont d’une autre origine, elles font partie désormais de manière pleine et entière de la société française parce qu’elles l’ont décidé. Ce n’est pas plus compliqué que cela, ce que l’on peut entendre ici ou là, n’est que verbiage inutile.

Faïza Guène est également co-scénariste de la série Oussekine diffusée
sur Disney+, qui retrace les événements du 5 décembre 1986 conduisant
au meurtre de Malik Oussekine âgé alors de 22 ans.
Kiffe Kiffe hier ? Faïza Guène Editions Fayard, 270 p, 2024.

Photo de couverture @ Page FB de l’autrice 

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