Youness Bousenna – Les présences imparfaites
Les présences imparfaites de Youness Bousenna
Par Djalila Dechache
Les présences imparfaites de Youness Bousenna, Editions Rivages, 2024.
Une effrayante vacuité
Dès les premières pages, le ton est donné : le lecteur fait connaissance avec un personnage qui vit dans la lenteur de ne rien faire, et trop lucide sur le genre humain. Pourtant l‘esprit travaille, il a un avis bien tranché sur tout ce qui l‘entoure, un regard acéré, sévère, sans complaisance. Il s‘agit d’un adolescent blasé, à l‘ennui aussi épais qu‘une forteresse. Il vit à Thiais une banlieue à quelques 30 kilomètres de Paris, plutôt tranquille, va au lycée tout aussi tranquille, a un seul copain avec lequel il essaie de se créer un rôle de beau gosse pour séduire les filles sans succès. Le temps est son principal ennemi, il ne sait pas comment le traverser.
Il le tue difficilement en se laissant flotter. Il est terriblement seul, enfermé dans sa solitude.
Il a des parents qui font partie de la classe moyenne, tous deux travaillent le père dans les Bureaux, la mère coiffeuse à Choisy le roi, une sœur qui fait Sports-Etudes assez peu présente, chacun mène sa vie prise dans les rets d’un quotidien écrit d‘avance comme pour des millions d’habitants de cette génération-là ; Les parents ont réalisé le rêve d’un bon nombre de français qui consiste à acquérir un pavillon en banlieue.
« Être de Thiais, c’était faire partie de cette gigantesque ceinture de laideur et de pollution cernant Paris, remplie de bataillons de subalternes » dit-il.
Vision quelque peu exagérée d’un adolescent désabusé, cette ville n‘a rien de moins que les autres communes autour de Paris mis à part son cimetière parisien qui accueille les sépultures de personnes décédées dans la capitale, non identifiées ou sans ressources. Comme la plupart des autres villes, elle s’est développée dans le tertiaire. La seule distraction du jeune homme est de se rendre à Belle Epine, dépenser quelques sous dans un de ces centres commerciaux qui concentre toutes les frustrations de consommer plus qu‘il n‘en faut.
Un salut de courte durée
Le salut de ce jeune homme poindra son nez lorsqu‘il commencera des études supérieures qu‘il ne finira pas, il fait alors des piges dans un journal, puis il est happé par une proposition du quotidien Le Figaro pour couvrir la guerre en Irak. A partir de ce moment-là, il est âgé alors d’une bonne cinquantaine en 2019, il a un nom, Marc Dupin.
Grand reporter, il est envoyé au charbon puis plus tard, il couvrira les émeutes des Printemps arabes qui ont donné une visibilité du Maghreb et du Moyen-Orient par la révolte des peuples descendus dans la rue.
Journaliste lui-même, Youness Bousenna, a couvert ces années de sang puis de plomb dans une région du monde qui a respiré l’odeur de la liberté bien vite muselée. Marc Dupin tente l‘écriture inspirée de son parcours professionnel comme cela est coutumier, il s’engage dans une vie de couple avec Claire.
Guérit-on de ce mal de vivre ? Sans surprise, Marc Dupin reste en marge de sa vie. Il fait parfois penser, au personnage du roman de Georges Perec « Un homme qui dort », devenu un film en 1974 de Bernard Queysanne avec l’acteur Jacques Spiesser dans le rôle-titre.
Une écriture ciselée
S’agissant de l‘écriture de son premier roman, l’auteur a réussi une prouesse dans la description et la restitution du vide, du rien, l‘absence de vocation, de vouloir, de désir. On l‘entendrait presque soliloquer son texte à voix haute.
Le lecteur ressent cette mélancolie propre aux poètes du XIX siècle, cet alanguissement conduisant au néant, ce désœuvrement menant à cet entre-deux tellement difficile à vivre. Une sorte d’atonie revisitée au XXIème siècle.
Autre point à souligner, Youness Bousenna ne s’est pas affalé dans la facilité induite par son origine maghrébine où il aurait pu narrer un récit sur les immigrés, leurs enfants et petits-enfants. Bien sûr il y a quelques moments où il y fait une petite allusion. On lui en sait gré, et on reconnait un auteur qui sait écrire et sait raconter une histoire toute autre sans en passer obligatoirement par là.
Le titre énigmatique « Présences imparfaites » est riche de sens, il revient à chacun d’en définir la portée.
Un beau roman, âpre, novateur en prise avec son temps.
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