Wole Soyinka, un géant de la littérature
Wole Soyinka, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde
Par Djalila Dechache
Wole Soyinka, prix Nobel de littérature 1986, Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, traduction David Fauquemberg et Fabienne Kanor, éditions Seuil, 2023.
Wole Soyinka est un auteur prolifique né en 1934 au Nigeria, et un activiste important au sein de l’opposition de son pays devenu indépendant en 1960. De plus, il a passé 22 mois en prison pendant la guerre civile au Nigeria, pour avoir soutenu le mouvement d’indépendance du Biafra.
Enfant brillant en classe, il obtient une bourse Rockfeller pour des études supérieures en Angleterre. En cela et malgré de nombreuses différences, son parcours ressemble au soudanais Tayyib Salih qui passé par Londres lui aussi est l’auteur du remarquable « Saison de la migration vers le Nord », plus tard il sera élu au siège de l‘Unesco. Toute la vie de Wole Solinka a été marquée par des luttes, des engagements, des rencontres. En 1984, il est devenu citoyen d’honneur de la ville de Montpellier, l’université Paul Valéry lui a décerné le statut de Docteur honoris causa. Il était alors très peu connu en Europe. Il a été invité à la rencontre placée sous le signe de l’innovation Europe-Afrique qui s’est déroulée en octobre 2023 à Montpellier.
Militant convaincu, il signe en 1998 avec Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant un appel à reconnaître la traite et l’esclavage colonial comme crimes contre l’humanité, qui inspirera la proposition de loi que Christiane Taubira déposera à la fin de la même année en France.
Il a écrit précédemment des pièces de théâtre, des essais, des anthologies de poésie, des Mémoires et des nouvelles.
Il a même été comédien dans une pièce mise en scène de l’anglaise Joan Littlewood et programmée au Théâtre National de Chaillot à Paris en 1971.
Avec un titre de livre qui pourrait se prêter à la phrase magique qui débute les contes pour enfants, ces « Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde » est le troisième roman d’un observateur – conteur né qui s’est isolé de longs mois pour écrire une somme foisonnante et flamboyante.
Dès les premières lignes, le lecteur est happé par un monde inconnu, des noms poétiques et fleuris, issu de l‘imagination et de l‘observation de son auteur qui a extrêmement voyagé au cours de sa vie. Wole Soyinka narre un méchant trafic d’organes volés dans un hôpital pour alimenter des rites et des usages ancestraux.
Il y a aussi du suspense, des complots, des croyances, des inimitiés, des manigances, une lutte de pouvoirs, de la corruption, des antagonismes, en somme comme partout dès qu‘il y a une communauté humaine.
Comme si cela ne suffisait pas, la religion s’en mêle aussi entre un dieu blanc et un dieu noir, une sorte de « Chrislam » créant faux prophètes et charlatans, une aliénation de plus dans un pays à forte démographie.
Sauf qu’ici c’est différent, on est dans un pays d’Afrique dont on n’entend pas grand-chose émerger dans quelque domaine que ce soit, par exemple, je serais bien incapable de vous donner la capitale du Nigéria ! Ce pays est nommé « Le géant d’Afrique » pour l’identifier au milieu d’un continent de 54 pays.
Wole Soyinka lors de la rencontre euro-Afrique en novembre 2023 à Montpellier.
Le génie de Wole Soyinka est d’avoir compris que pour aider son pays, son intelligentsia, sa diaspora sont mieux placées sur sa propre terre que disséminées sur d’autres horizons, que c’est la meilleure façon de contribuer à son essor et à son dynamisme. D’autre part, son regard, sa démarche, ses opinions sont du côté du progrès, de l’avenir et participent au réveil de l’Afrique de sa longue et malheureuse torpeur colonisatrice qui l’a placée, comme beaucoup d’autres, au fond d’un trou.
« L’homme meurt en tous ceux qui se taisent devant la tyrannie » Wole Soyinka
En 2017, Il rentre au pays comme on dit, déchire sa Green cart suite à l’élection de Donald Trump, quitte les Etats -Unis où il enseignait dans plusieurs universités.
Alors s’il faut en passer par la fiction pour raconter sa propre histoire avec ses travers, ses failles, ses erreurs, ses dérives et ses manques, qu’importe ! Il en devient dès lors le maître et au minimum, il fait exister sa terre et sa nation pour les siens et pour le monde.