Arnaud Villanova invité de Souffle inédit

Roman
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Entretien avec Arnaud Villanova : « La patience, un tilleul, et un cachalot. »

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Arnaud Villanova, l’invité de Souffle inédit

Rencontre

Vous publiez, dans la collection « Les cahiers de la NRF », Le chemin continue. Biographie de Georges Lambrichs. Il s’agit de votre premier ouvrage. Pouvez-vous nous en raconter la genèse en relation avec votre propre parcours ?

Arnaud Villanova, l’invité de Souffle inédit

Arnaud Villanova. C’est un cas un peu particulier. À l’origine, il s’agissait d’un travail de recherche dans le cadre de mon université, à réaliser sur deux ans. J’étais libre du sujet et, sur les conseils de mon directeur de recherche, Olivier Bessard-Banquy, je m’étais intéressé à Georges Lambrichs. Une suite de hasards m’a mené à lui et, me sentant en amitié avec cette figure et les auteurs qui l’entouraient, j’ai décidé de voir là une sorte d’injonction. Je passais beaucoup de temps à lire, il m’arrivait d’écrire, et j’ai accueilli avec joie le motif d’assouvir ces vices. Le travail de recherche, proche de l’enquête, m’a passionné, j’ai fouillé les archives Lambrichs conservées à l’Imec, je me suis entretenu avec ses filles, avec les auteurs qu’il avait publié, Le Clézio, Réda, Macé… Rapidement, je me suis écarté du format universitaire pour donner à ces recherches l’allure d’un récit, d’une biographie littéraire.

Évidemment se pose la question théorique du transfert du documentaire à la fiction : qu’est-ce que la fiction apporte qu’on ne peut pas avoir avec le documentaire ? Je crois que l’ambition documentaire, de restituer au plus près un réel qui a eu lieu, peut être poursuivie par la fiction comme du documentaire différé, et qu’il y a une continuité féconde entre les deux.

Citant Borges, Jacques Réda, grand poète et ancien directeur de la Nouvelle Revue Française (1987-1996), considère que lire « a été un des traits les plus constants de Georges Lambrichs ». N’est-il pas légitime de se demander pourquoi certaines personnes sont-elles plus aptes à la lecture que d’autres ? Est-ce en rapport avec l’enfance, la famille ou s’agit-il de ce qu’on appelle couramment un don qui se transforme en passion ?

Arnaud Villanova. Si, bien sûr. J’aborde ce sujet en racontant la jeunesse de Lambrichs et le milieu intellectuel dans lequel il grandit, mais un œil sociologique plus aiguisé pourrait raffiner. Je ne rejette surtout pas l’idée qu’il pourrait y avoir un don et du génie, mais je ne peux pas évacuer les opérations d’héritage. Ensuite, s’y ajoute ce que Lambrichs appelle son goût, comme on parle de palais en vin, et qui vient à force de. Et Lambrichs était un lecteur boulimique. Il passait son temps à lire, au café, le dimanche, en vacances, et, ce qui paraît inimaginable aujourd’hui, il lisait les manuscrits qu’il recevait dans la journée.

C’est aussi affaire de tempérament. Je pense que sa nature silencieuse l’a poussé à être celui qui lit – qui écoute, dirait Chaillou qui titrait L’Écoute intérieure. Ce n’est peut-être pas pour rien qu’il comparait l’assourdissement aquatique à la lecture : on s’immerge, et au bout de milliers de pages, on commence à savoir nager, on est dans son milieu.

Dans la rubrique « Annexes », vous reprenez des « Poèmes de jeunesse », un « Extrait d’une dissertation présentées le 22 juillet 1936 au Jury central d’homologation », des « Citations relevées par Georges Lambrichs », des « Textes publiés en revue », un « Entretien avec Maurice de Montrémy », ainsi qu’un entretien intitulé « Le chemin de Georges Lambrichs », par Gilberte et Louise L. Lambrichs. Ce sont certes des choix qui nous éclairent sur Georges Lambrichs, mais ne craignez-vous pas qu’on pense que si Georges Lambrichs était un grand lecteur et éditeur, c’est parce qu’il n’a pas pu s’imposer lui-même comme écrivain ?

Arnaud Villanova. C’est une question qui s’est posée, je crois, pour beaucoup d’éditeurs, qui ont d’abord voulu être écrivains. Paulhan voulait être auteur. En revanche, je ne crois pas qu’il n’ait pas réussi à « s’imposer » dans la critique, mais plutôt que sa puissance n’était pas dans l’écriture. C’est un autre souffle. C’est avant tout un lecteur. Erik Orsenna me disait qu’il n’y avait pas de Nobel d’éditeur, pourtant ils jouent un rôle très important.

Roland Barthes, convoquant Proust, rappelle que le désir d’écrire vient toujours par le plaisir de lire, accroché à une certaine mimésis. J’écris parce que j’ai lu. Mais il ajoute que le désir comme seule force ne fait pas littérature. Il est certain qu’il y a eu un fort désir d’écrire chez Lambrichs, mais ce n’était pas la manifestation de sa puissance, plutôt la conséquence de ses lectures. Et je pense qu’il a senti assez tôt que sa joie et son plaisir étaient ceux d’un lecteur. Ce qui ne l’a pas empêché de produire quelques textes, admirables, timides, presque pour lui seul. C’est peut-être aussi pour ces raisons que je me suis senti en amitié avec lui. Je passe mon temps à lire, faire lire, en offrir à mes amis. Et j’ai l’impression que mon livre est davantage celui d’un lecteur que celui d’un auteur.

Existe-il de nos jours des éditeurs de la trempe de Georges Lambrichs, c’est-à-dire des éditeurs capables de révéler de grands auteurs et de jouer un rôle dans leur œuvre ?

Arnaud Villanova. Sans aucun doute. Là-dessus, je n’essaie pas de sauver la baraque pour me convaincre et défendre mon pré-carré, j’en suis persuadé. En revanche, ce qu’on peut dire c’est qu’ils n’ont peut-être plus l’aura d’antan, qu’ils sont devenus plus confidentiels, moins distribués, et qu’il faut les chercher. « Le Chemin » était bien sûr une petite maison, mais dans la grande maison Gallimard. Au sein de cette dernière, Jean-Marie Laclavetine prolonge à certains égards la tradition lambrichsienne. La maison d’édition POL aussi, dont le fondateur est parti en 2018. Colette Lambrichs, sa nièce, et les éditions du Canoë le font également. Georges Monti bien sûr, et d’autres qui sont des gens de famille. Mais on sait les difficultés de ces petites maisons, et leur force à continuer d’exister de façon autonome. Le souci n’est pas qu’on manque de découvreurs, mais qu’ils ont de moins en moins les moyens de faire connaître leurs trouvailles.

Il s’agit d’une question que nous posons aux amis de Souffle inédit : Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un seul de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, en arabe par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Arnaud Villanova. Tout recommencer pour ce livre ou dans la vie ? Pour ce livre, donner un peu plus de place à Gilberte Lambrichs, la femme de Georges, dont bien malgré moi je parle peu (peu de sources, peu d’écrits, plus discrète), alors que sa présence a été très importante auprès de son mari.

Dans la vie… C’est vaste. Pas grand-chose je crois. Je suis un traînard comme dit Marielle, j’aime me promener, regarder, et même si je pense que la lenteur est une qualité, je le suis peut-être un peu trop. Ce qui détermine sans doute le choix de mes prochaines réponses : la patience, un tilleul, et un cachalot.
Et dans quelle langue traduire le livre ? En espagnol, pour qu’on puisse le lire jusqu’à Buenos Aires.
Aymen Hacen
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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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