Mohamed Abdallah – « Le vent a dit son nom »

Roman
Lecture de 9 min

Mohamed Abdallah

« Le vent a dit son nom » 

Par Djalila Dechache

Mohamed Abdallah - « Le vent a dit son nom »

A petits pas, au début du récit le narrateur tisse une histoire sans indications de temps, à coups de longues et précises descriptions. Aurait-on perdu le goût de la précision, des énumérations et de la littérature classique pour en être étonné ? C’est très possible. De ce fait le lecteur, la lectrice avancent aussi à petits pas, se laissent porter par cette histoire pas si ancienne que cela, qui recèle des réminiscences et des jaillissements d’une époque historique que seuls les plus âgés comprennent. Nous sommes à la fin de la colonisation française en Algérie dont le glas a sonné le 1 er novembre 1954, Le vent a dit son nom, titre poétique de la date de l‘insurrection, bien vite transformée en guerre contre l‘occupant historique par une poignée de jeunes gens impatients, conscients, audacieux et visionnaires.

Anir est un écolier musulman, orphelin de père, il entre, à reculons, là-bas, pour son bien, au lycée français d’Oran, ultime privilège, devient collégien parce qu’il a été surpris un livre à la main, en classe il est amené à lire à voix haute Maupassant, plutôt « respirer, ressentir, vivre » le texte de l‘écrivain français. Il a un oncle qu‘il admire, Saïd, élégant, cultivé, sûr de lui. Bien qu’Anir soit très jeune et sans que personne ne le prévienne ou le prépare, il va assister à une réunion des plus importantes qui se tiendra sous les auspices du père Clément dans son église. Dès lors, deux mondes vont se confronter, celui du quartier populaire de la Mauresque où il habite avec sa mère et sa grand-mère et celui des initiateurs des débuts de la libération d’abord silencieuse du pays. Anir est chamboulé d’entrer dans un lieu qui ressemble à un temple du savoir avec une bibliothèque fournie d’ouvrages des plus remarquables, de rencontrer des hommes qui parlent un langage entendu, il est aussi heureux d’y entrer, sentant déjà sa chance. Sa vie bascule dès cet instant, il va grandir plus vite que les jeunes de son âge, gagnant en maturité sur le vif par cette initiation riche en références historiques et plus encore.

Déjà, il se pose en son for intérieur la question de son identité dans un pays dominé. Il doit comprendre tout seul même si l’un des protagonistes du mouvement de rébellion naissant lui assène quelques rudiments de base sur la libération des peuples par la lutte de classes.

Une blessure qui ne se referme pas

Lorsqu‘il rentre chez lui très tard, il fait nuit, la tête pleine de ce qu‘il a vu et entendu, il ne dit aux femmes qui l’élèvent, même pas à sa mère qui, le cœur battant l’attendait pour lui donner son diner resté chaud et pour savoir comment cela s’est passé. Sans un mot Anir, regagne sa petite chambre prétextant des devoirs à faire. Encore une fois, rien n‘est dit, toujours le silence, toujours les non-dits qui submergent.

La suite est connue, la guerre enclenchée à la Toussaint Rouge 1954, qui va durer jusqu’en 1962, accompagnée de très nombreuses pertes côté algérien. La Libération de l‘Algérie devenue indépendante est décrétée par les accords d’Evian du 19 mars 1962. En France, on se souvient de la dramatique date du 17 octobre 1961 où l‘injonction de défiler a été faite aux immigrés et leurs enfants, le Préfet de Paris de l‘époque, Maurice Papon a donné l‘ordre de titrer sur tout ce qui bouge sur le pont de Neuilly, des morts par centaines et des ratonnades suivirent. Quant aux archives, elles sont restées longtemps inaccessibles. L’Algérien porte en lui les stigmates de la colonisation et de la guerre de Libération a fortiori parce ce silence insupportable et aussi parce que les parents ne veulent pas parler à leurs enfants de cet épisode tragique, même s’ils ne l’ont pas vécu en première ligne. La chape de plomb de ce silence assourdissant est l ‘expression d’une blessure qui ne cicatrise pas. Les traumas sont trop profonds.

Un regard renouvelé

On peut comprendre dans la démarche de l‘auteur Mohamed Abdallah une volonté de sensibiliser les jeunes générations d’Algériens de France, d’Europe, d’Algérie et d’ailleurs à leur histoire. En effet, il est important de savoir pour le moins ce qui s’est passé, pourquoi le pays reste divisé de l‘intérieur et pourquoi les algériens ont du mal à définir leur identité et en se repliant sur les communautarismes. Pourquoi les structures élémentaires de la parenté ont été cassées, bafouées, perdues, les terres confisquées et données pour presque rien. Connaitre son histoire et l‘Histoire participent de cette connaissance et de la libération des esprits. Nul n’en peut faire l’impasse.

L’auteur s’est emparé de son histoire et de celles d’avant lui pour en faire une lecture personnelle et collective aujourd’hui avec une grande précision.
Comme il y a deux univers qui se côtoient, d’autres sous-univers ou sous-groupes se dessinent : les femmes et les hommes, la religion musulmane et catholique, la région de l‘ouest du pays avec ses intellectuels militants et ses quartiers populaires, les jeunes et les plus âgés…
Autre problématique binaire, entre l’Algérie et la France, ces deux pays sont liés, ils ont des choses à se dire, à partager, à reconnaitre, des générations de français ont un lien avec l’Algérie de trois générations en arrière ou plus, et inversement, alors pourquoi perdre cette chance, cet atout de compréhension, de partage et de paix ?
Des initiatives se font au cas par cas pour retrouver ces liens distendus par des politiques non adaptées avec des rancœurs mal assumées.
Il faudrait certainement changer de paradigme pour estomper les pressions qui empêchent la prise de décision de paix et de fraternité que tout le monde attend.

Né en 1997, Mohamed Abdallah vit en France: il a publié précédemment deux ouvrages « Entre l’Algérie et la France il n’y a qu’une seule page » et  « Souvenez-vous de nos sœurs de la Soummam ».
Des ouvrages que nous aimerions bien lire aussi dès lors qu‘ils soient accessibles ici en France !

Édité dans un premier temps aux éditions APIC en 2021, écrite en 2020 au moins alors qu’il n’a que 23 ans, lauréat du prix Assia Djebar section ouvrage en langue française en 2022, et le prix Ahmed Baba en 2023, l’ouvrage arrive heureusement en France par les Editions Au diable Vauvert dans le cadre de la rentrée littéraire.

L’auteur y développe ici un sens aigu de l‘observation en dotant le jeune Anir, le héros principal, d’une capacité à se questionner afin de métaboliser ce qu’il découvre, ce qu‘il apprend à l‘école française d’Oran et en dehors d’elle. On pourrait dire qu’il amorce sa prise de conscience.

Nous remercions aussi l’écrivain Mohamed Abdallah d’avoir écrit ce livre qui résonne dans les cœurs et dans les âmes pour les générations en perte de sens et de projet et pour celles qui souhaitent voir l‘Algérie plus heureuse.

Il n’est que temps de regarder l‘Histoire en face pour avancer des deux côtés de la Méditerranée.

Le vent a dit son nom roman, Editions au diable Vauvert, 360 p, 2024.

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