Roman

Aphra Behn, «Punk and Poetess»

Aphra Behn, «Punk and Poetess» d’Aline César – Supernova éditions

Par Djalila Dechache

Aphra Behn «c’est parce que je suis une femme que vous m’attaquez »

 

Aline César

Aphra Behn, «Punk and Poetess»

Dès les premières lignes, on ressent que ce texte a été écrit pour être dit, pour être lu à voix haute, comme une harangue. L’état-civil d’Aphra Behn est scandé à chaque étape de sa vie, soulignant un événement particulier. Ce procédé devient, au fil des lignes, étonnamment poétique. Le texte est le fruit d’une auteure lettrée, d’une metteure en scène brillante, d’une artiste inclassable, d’une pédagogue inventive, d’une jeune femme accomplie en perpétuel mouvement : Aline César.

Aphra Behn, «Punk and Poetess»

Aphra Behn

Aphra Behn (1640-1689) fait partie de ces citoyennes, féministes et auteures anglaises, francophone et traductrice dont le travail, les actions, les revendications réalisés dans l‘ombre, profitent à toutes les femmes aujourd’hui.

La lecture de ce livre ne laisse pas indifférent, il a été conçu pour entendre Aphra Behn dire, écrire les doutes, les observations, les vérités rencontrées sur son chemin.

Elle accompagne son père au Surinam, « colonie anglaise avec des plantations de canne à sucre », colonie qui deviendra plus tard sous emprise hollandaise. Elle  y retourne avec sa mère, son frère et sa sœur, ils y resteront une année quasiment. Elle  découvre la réalité de l‘esclavage, lors d’une révolte d’hommes noirs réprimée dans le sang. Elle écrit sa première pièce « Le jeune roi ». Elle se marie  avec Johan Behn en Angleterre en 1664, La Grande Peste fait des ravages dans tout le pays en 1665, son mari meurt deux ans plus tard, en 1666 dans un incendie. Une grande partie de la ville est brûlée.

Elle devient espionne politique « aux gages du gouvernement britannique » : son nom de code est Astrea. Elle rejoint les Flandres, découvre une manœuvre d’attaque navale des Hollandais sur la Tamise.

Aphra Behn, « Punk and Poetess »

« L’histoire de la nonne »

Sa vie prend une tournure catastrophique, elle survit dans une grande pauvreté, son salaire de Londres ne lui parvient pas. L’attaque a bien eu lieu alors qu’elle n’a pas été crue. Elle a la force de planter les bases de son texte « L‘histoire de la nonne » qui raconte l‘histoire d’Isabella, une jeune femme qui prend la fuite du couvent par amour afin de rejoindre Hénault. Ils se marient, lui est tué dans la guerre contre les Turcs. C’est une histoire entre conte, épreuves, mythologie, amour impossible, voyage au pays des morts et infamies.

©Aphra Behn

Aphra Behn fait dire à Isabella :

Ah ! Malheureuse que je suis !

Par quel chemin puis-je fuir

La colère infinie et l’infini désespoir ?

Où que je fuie, c’est l’enfer,

Moi-même je suis l‘enfer ».

En réalité ces vers illustrent la vie d’Aphra Behn, c’est ainsi qu’elle faisait le constat de sa propre vie. Une vie difficile, faite de solitude, de batailles qui la laissent ruinée mais indépendante.

D’autres textes suivront, passant d’un registre à l’autre, dont le roman Oroonoko ou l’esclave royal (1688), œuvre dénonçant l’esclavage et la traite négrière, des pièces de théâtre ou encore des poèmes.

« Punk and Poetess »

Devenue veuve à 28 ans elle ne se remariera pas. Elle sera emprisonnée pour dettes à Londres. Le directeur du Théâtre Royal la fait sortir de prison et lui offre un travail, celui de copiste, elle commence à écrire pour la scène, elle se fait connaître, elle a du succès. Sauf que ce succès aura un goût bien amer, elle est qualifiée de pute et poétesse  « Punk and Poetess » insulte pour signifier qu’une femme qui s’exprime sur le devant de la scène n’est pas une femme fréquentable, c’est une femme de mauvaise vie.

En 1670, elle a 30 ans, elle donne l’impression d‘avoir tout vécu, tout subi, d’avoir eu plusieurs vies de labeur et de désespérance sans jamais fléchir, sans jamais céder aux sirènes du conformisme de l’époque qui aurait voulu qu‘elle se remarie, qu’elle soit entretenue par un homme et mène une vie obéissante et silencieuse.

Précisément, elle est discréditée, reléguée au rang de prostituée parce qu’elle écrit, est publiée, est jouée sur scène, elle devient la première anglaise à vivre de sa plume sous le régime de la Restauration, caractérisée par le retour de la monarchie en 1660 sous l’autorité du roi Charles II.

Ce qui signifie pour elle, vivre sans un homme qui pourvoit à son entretien, comme dans « Le mariage forcé » qu’elle a écrit en 1670, où elle casse les codes du mariage bourgeois.

Aphra Behn était en avance sur son temps

Elle comprend bien vite le sens des attaques : «c’est parce que je suis une femme que vous m’attaquez » rétorque-t-elle.

Toute sa vie aura été de se battre contre la société anglaise, rigide, ses préjugés, ses conventions, pour une égalité hommes-femmes et la liberté d’expression.

De plus, elle était en avance sur son temps, une pionnière, une novatrice dans le domaine de la littérature et du spectacle vivant.

Peu connue en France, peu appréciée à son époque en Angleterre, elle est pourtant l’une des rares femmes si ce n’est pas la seule à revendiquer une existence d’auteure vivant de manière autonome.

Virginia Woolf, trois siècles plus tard, dans « Une pièce à soi » en 1929 a écrit : « Toutes les femmes en chœur devraient déposer des fleurs sur la tombe, car c’est elle qui obtint, pour elles toutes le droit d‘exprimer leurs idées ».

Aphra Behn meurt le 16 avril 1689.

L’esprit est plus fort que la mort 

Aline César s’est rendue à l’abbaye de Westminster, dans le poet’s corner, au milieu des bustes et plaques commémorant les plus grands auteurs anglais. Cependant, pour voir celle de Aphra Behn il faut être très attentif «  il fallait bien chercher… J’ai dû sortir du bâtiment principal de l’abbaye. Là dans le coin gauche du cloître, coincée dans l’entrée, sous les piétinements des visiteurs, j’ai vu la dalle noire, lissée par le temps, portant l’inscription :

Mrs Aphra Behn, 1640-1689

Ci-gît la preuve que l’esprit ne peut rien

Contre la mort. »

Ajoutons, modestement, que l’esprit est plus fort que la mort.

Spectacle d’Aline César

Aline César a créé un spectacle avec la comédienne Catherine Rétoré et le musicien Dramane Dembele  flûtes peules, n’gôni, tama…) qui retrace en musique l’œuvre et la vie haute en couleur d’Aphra Behn. La première représentation publique a eu lieu dimanche 10 juillet 2022 à 19h à la Maison de Colette.

Autrice, metteure en scène, historienne de formation et chargée de cours à l’Institut d’Etudes Théâtrales de Paris III – Sorbonne Nouvelle, Aline César fonde en 2004 la Compagnie Asphalte où elle développe un répertoire résolument contemporain attentif à valoriser les écrits de femmes. À partir de 2013 elle commence le « Projet Aphra Behn » en allant à la rencontre de l’œuvre et de la vie de la dramaturge et écrivaine anglaise qui lui inspire un spectacle musical et ce texte Aphra Behn punk et poetess.

Edith Girval « Le défi de l’équivoque. Fiction et curiosité chez Aphra Behn », Classiques Garnier 2018, issu de sa thèse de Doctorat Paris III – Sorbonne Nouvelle.

Photo de couverture : Portrait d’Aphra Behn , par le peintre Peter Lely vers 1670 détenu par le Yale Center for British Art – .

Djalila Dechache : Auteure, chercheure sur l ‘Emir Abdelkader l ‘Algérien, Kateb Yacine et le théâtre arabe.

Aline César

Le spectacle

Roman

Lire aussi

Souffle inédit

Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *