Avec La danse du paon, Hanan El Cheikh signe un roman émouvant où l’exil, la mémoire et la force des liens familiaux se mêlent à travers le destin de trois personnages entre France, Allemagne et Liban.
Hanan El Cheikh : « La danse du paon », un roman sur l’exil et les liens familiaux
Par Djalila Dechache
C’est toujours un plaisir de découvrir un nouveau roman de Hanan El Cheikh. L’autrice arabisante qui vit à Londres depuis longtemps n’en reste pas moins attachée à son Liban natal. Son œuvre est traduite en plusieurs langues. « Toute une histoire », paru en 2010 a reçu le prix du Roman arabe. Elle dit que « parler de moi et parler du Liban était une seule et même chose ».
Ce livre met en avant trois personnages Yasmine cuisinière dans un restaurant, vit dans le sud de la France avec son fils Naji âgé de 28 ans, rêve d’être rappeur, accro aux drogues et son cousin Rica qui après le Sénégal avec son père, est passé par la Hollande pour se retrouver dans un centre de réfugiés en Allemagne.
L’important c’est d’être ensemble
Il a fallu qu’une carte postale sans adresse précise ni nom précis pour le Liban, envoyée pour avoir des nouvelles du cousin, arrive et c’est cela qui est merveilleux, l’humain a primé, un facteur qui fait son métier en comprenant l‘exil, a cherché à ce que ce courrier soit remis à quelqu’un et ainsi de suite jusqu’à arriver à son destinataire. C’est la force du lien.
Dès la réception de cette carte postale, Yasmine et Naji décident de rendre visite au cousin métis Rica qui se trouve en Allemagne. Arrivés au camp, c’est tout juste si Rica est reconnu, c’est qu’il a beaucoup changé depuis huit ans d’absence, il vit dans une crasse étonnante, il est reclus, quasiment enterré dans une chambre que la tante, après quelques moments d’affection, décide de récurer sur le champ et de fond en comble tant l’atmosphère de ce « chaos » dit-elle y est pesante.
Pour Naji c’est une chambre d’extra-terrestre avec des photos pornographiques aux murs, des bouteilles de bières vides, des paquets de cigarettes écrasés, des chaussettes et des vêtements sales ici et là, des boites de tomates à date expirée depuis des années…heureusement un peu de vie sociale avec des invitations réciproques se met en place par les voisins de palier au camp, deux frères Iraniens, un Ghanéen et un Marocain, tous déracinés, réfugiés, ce qui va constituer mémoire et voyage mental pour Yasmine notamment .

Exil, exils
Tous les trois, aux personnalités différentes vivent l’exil à leur manière, ils vont se rapprocher et retisser les liens qu’ils avaient là-bas au Liban. Ce qui est intéressant ici est que les trois personnages présentent trois visions différences de leur exil. Ce n’est pas parce qu’ils sont exilés qu’ils manifestent le désir de rentrer chez eux. Pas pour le moment en tout cas. Il n’empêche qu’ils peuvent recréer un semblant de pays en étant ensemble, de reconstituer une famille, c’est important ou par la manière de se retrouver autour de plats de chez eux. Celui qui est allé le plus loin dans l’errance sans but est Rica, se dit sans père, il est totalement perdu, peu à peu il s’est déshumanisé, s’enferme des journées entières dans sa chambre envahie de crasse, ne se reconnait ni en Afrique ni en Allemagne, quant au Liban c’est devenu un lointain souvenir. La patience de Yasmine, sa vivacité, sa joie, sa bienveillance, font qu’elle accepte tous les dérapages de son neveu, pense qu’avec de l’amour et du temps les choses rentreront dans l’ordre. Yasmine au prénom floral si odorant dont les effluves traversent les pays méditerranéens, c’est la plus âgée, elle est la mère, la terre, la langue, elle joue la carte du temps. On peut perdre beaucoup de choses en exil mais la mémoire est là, personne ne peut la prendre, la tendresse et le temps y aident. Pour toutes ces raisons elle rend le monde habitable, vivable.
Elle aimerait que son fils et son cousin soient amis, s’épaulant l’un l’autre parce que c’est tellement difficile d’être entre plusieurs mondes.
Hanan El Cheikh a une écriture très détaillée, travaillée, précise, décrivant du vécu de près ou de loin. Elle sait ce que les êtres humains ressentent.
Et puis ce titre est intéressant, en arabe c’était « L’œil du paon », traduit en français par « La danse du paon », glissement symbolique.
Qu’importe, ce roman est tellement touchant, juste, on n’imagine pas que les Libanais eurent à souffrir autant de l’exil, en particulier la jeunesse qui porte aussi le poids de leur Histoire.
Hanan El Cheikh roman La danse du paon traduction de l’arabe Khaled Osman Editions Actes Sud, 2025.