Nassira El Moaddem invitée de Souffle inédit

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Crédit ©Francesca Mantovani Gallimard

Journaliste et autrice, Nassira El Moaddem présente l’émission « Arrêt sur images ». Après avoir travaillé à Itélé, au 20h de France 2 et à France Inter, Nassira El Moaddem a publié Filles de Romorantin (L’Iconoclaste, 2019), et elle enseigne également l’écriture à l’Université de Lille.

Entretien avec Nassira El Moaddem : « Le bled c’est ici et là-bas en même temps ! »

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A.H : Et si on rentrait au bled en train ? vient de voir le jour aux Éditions Gallimard, dans la collection « Voyages ». Pouvez-vous nous en raconter la genèse, le principe d’écriture et le mode de fonctionnement ?

Nassira El Moaddem invitée de Souffle inédit

Nassira El Moaddem : À l’été 2022 à la réouverture des frontières du Maroc, après qu’elles sont restées fermées pendant deux ans en raison du Covid, comme beaucoup de Marocains partout dans le monde, nous avions hâte de rentrer au bled ! Mais nous avons vite déchanté quand nous avons découvert les prix des vols aériens extrêmement élevés. Alors, j’ai décidé de regarder si un tel trajet était possible en train et à quel prix. C’est comme ça que nous avons voyagé en train jusqu’au Maroc pour la première fois. J’ai raconté sur les réseaux sociaux notre premier voyage de 2022, puis les suivants. Car depuis 2022, nous rentrons chaque année au Maroc en train. J’ai voulu en faire un guide-récit car je voulais laisser une trace matérielle de ce voyage, offrir un récit au long-cours en dehors des seuls réseaux sociaux, à la fois raconter au grand public les raisons qui m’ont poussé à faire ce voyage en train jusqu’au Maroc, ce que je souhaitais en faire et donner des conseils à toutes celles et ceux qui sont tentés sans franchir le pas. Ce livre est une manière de le dire : ce voyage est possible y compris avec des enfants, je vais vous expliquer comment !

Nassira El Moaddem invitée de Souffle inédit
Crédit ©Francesca Mantovani Gallimard

A.H : Le mot de « politique » apparaît très vite dans votre texte. Qu’est-ce que voyager a de politique ?

Nassira El Moaddem : Quand je dis que voyager est politique, dans mon cas, le voyage est une passerelle calendaire entre mon pays la France et mon autre pays, le Maroc. Je suis une enfant d’immigrés, ces mêmes immigrés que nombre de politiques français ne cessent de criminaliser tous les jours dans les médias. Ce voyage est politique car il est une manière de rappeler que je ne cesserai jamais de faire cet aller-retour entre mes deux pays, que mon histoire d’immigration est une fierté, que je souhaite non pas la cacher comme certains le souhaiteraient mais la revendiquer comme une part de moi-même malgré la puissance de l’idéologie d’extrême droite en France aujourd’hui. D’où l’idée d’utiliser le mot « bled » dans le titre. Beaucoup de gens, des anonymes comme des personnalités publiques me demandent souvent de “rentrer dans mon pays” comme si je ne pouvais pas être française et marocaine à la fois. Je leur réponds inlassablement que je rentre dans mon bled, le Maroc, et je re-rentre dans mon autre bled, la France, et que ce n’est pas près de s’arrêter.

A.H : Vous dédiez votre ouvrage à vos parents et à vos enfants, vous situant au milieu, entre les deux, telle une passeuse. Qu’est-ce à dire ?

Nassira El Moaddem : Si aujourd’hui nous pouvons faire ce voyage, si aujourd’hui nous pouvons transformer ce retour au bled des étés de notre enfance en voyages vers le bled en train en prenant le temps, en lâchant prise, en visitant, c’est grâce à nos parents qui ont tout abandonné dans leur pays pour nous offrir un meilleur avenir. Nous leurs serons pour toujours reconnaissants car on n’imagine pas ce que ça leur a coûté de quitter les leurs. Je dédie aussi mon livre à mes enfants car cette histoire immigré-là, je souhaite la leur transmettre pour qu’ils en soient fiers, pour qu’ils se l’approprient à leur manière. Quelle meilleure manière que le train pour faire leur un voyage qui leur correspond, fait de pauses, d’aventures, de visites et qui répond aux enjeux climatiques.

A.H : Sans doute vous sentez-vous aussi Française que Marocaine, mais l’usage du mot « bled », pays, ne montre-t-il pas un attachement particulier à votre pays d’origine, à vos origines, aux origines ? Vous sentez-vous plus Française ou Marocaine ? Qui avez-vous soutenu le 14 décembre 2022 ?

Nassira El Moaddem : J’ai supporté le Maroc parce que la France avait déjà remporté la coupe du Monde ! L’été, entre amis et avec la famille, on demande : « Tu rentres au bled cette année ? » On ne dit pas : « Tu rentres au Maroc ? »

En réalité, le mot bled est devenu un mot de la langue française, un symbole de nos vies métissées où on ne s’interroge pas de leur provenance, de leurs origines. Le bled c’est ici et là-bas en même temps !

A.H : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Quels sont les auteurs, marocains, arabes et français, qui alimentent votre culture littéraire ?

Nassira El Moaddem : Je travaille sur une enquête politique en Seine-Saint-Denis où je décortique comment une commune passée à droite en 2014 transforme la ville en enfer pour les habitants.

A.H : Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si un de vos textes devait être traduit dans d’autres langues, en arabe par exemple, lequel choisiriez-vous et pourquoi ?

Nassira El Moaddem : Je ne recommence rien, je tente de transformer et de corriger.
Je voudrais être un caméléon pour son ultra adaptation.
Un mot ? Générosité. Un arbre ? L’olivier.
Pour la traduction, je choisis celui-ci, Et si on rentrait au bled en train ?

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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