Salsabil Gouider invitée de Souffle inédit

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 Salsabil Gouider est docteure ès lettres de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Sfax. « Membre étranger » de la Société Théophile Gautier, elle a soutenu une thèse sur l’auteur de Capitaine Fracasse, laquelle vient d’être publiée à Paris, aux Éditions L’Harmattan, sous le titre : L’écriture imagée dans les récits fantastiques de Théophile Gautier. Enseignante-chercheuse à l’Institut Supérieur des Études Appliquées en Humanités de Mahdia, Université de Monastir, Tunisie, elle est l’auteure de plusieurs travaux sur la littérature française.

Entretien avec Salsabil Gouider : « Le français n’est pas devenu une langue étrangère »

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

A.H : Vous semblez nourrir une grande passion pour Théophile Gautier (1811-1872), auteur auquel vous avez consacré un master et un doctorat. Pourquoi cet écrivain en particulier ?

Salsabil Gouider : C’est une passion pour la littérature du XIXe en général et pour la littérature fantastique en particulier. Théophile Gautier est parmi les écrivains que j’ai étudiés avec beaucoup d’admiration lorsque j’étais étudiante en maîtrise. Poète, mais également nouvelliste et critique d’art, il aiguisait ma curiosité par son originalité. J’ai lu un bon nombre de nouvelles fantastiques de différents nouvellistes du XIXe, mais j’ai constaté que l’œuvre de Théophile Gautier est très riche de sens et de signifiance. Spirite a retenu mon attention pour élaborer mon mémoire de master avec un travail de recherche stylistique centré sur la découverte des arcanes de son écriture fantastique. C’est ce qui m’a incitée à traiter par la suite dans ma thèse de doctorat, l’ensemble de ses nouvelles fantastiques afin d’approfondir la recherche sur son œuvre avec un corpus plus large de contes et de nouvelles, et ce afin de découvrir les caractéristiques du langage du « fantastiqueur ».

Il est vrai qu’il existe plusieurs travaux sur Théophile Gautier répartis entre mémoire de master, thèses de doctorat, ouvrages théoriques et critiques, articles, comptes rendus et actes de colloques, mais j’ai tenté d’examiner des points non traités par les spécialistes et les théoriciens à partir d’une étude qui porte sur l’interprétation des différents outils langagiers en l’appui des théories de la littérature fantastique qui reflètent, me semble-t-il, l’originalité de son écriture sur les plans thématique et formel.

A.H : Vous citez Sigmund Freud et Georges Molinié, Alain Montandon et Roland Barthes. Comment peut-on qualifier votre approche de l’œuvre de Théophile Gautier ?

Salsabil Gouider : J’ai adopté une approche stylistique dans mon travail qui se base sur l’exploitation de plusieurs outils de la linguistique et de la rhétorique en général et l’exploration des figures de style et de discours en particulier, au profit de l’analyse littéraire des textes fantastiques de Théophile Gautier.

Or, si je me suis référée à Freud, c’est parce que la référence psychanalytique dans l’interprétation de quelques personnages schizophrènes ou paranoïaques par exemple s’est avérée importante. Les thèmes tels que le dédoublement de personnalité, l’inconscient et le désir refoulé animent l’œuvre fantastique du poète. C’est pour cela que mon analyse textuelle ne doit pas échapper à la référence freudienne qui est présente d’une manière ou d’une autre dans plusieurs théories du genre fantastique. Et pareillement pour les références à Montandon et à Barthes qui consolident non seulement cette analyse, mais elles permettent de renforcer mon approche stylistique par une certaine touche esthétique et critique qui fait que l’œuvre de Gautier soit un miroir d’une écriture fantastique plurielle. Cela concerne bien évidement la question de la réception de cette œuvre qui est fondamentale et qui doit être révélée à partir d’une approche certes stylistique, mais qui ne nie pas l’ouverture sur des références psychanalytique, esthétique et critique très intéressantes dans la compréhension même du fantastique gautiériste.

A.H : « Le dernier aspect d’un récit poétique imagé est l’analogie. Elle demeure l’outil crucial de la création de la langue par des images hermétiques. Les deux grandes figures de style qui mettent en évidence l’hermétisme chez Gautier, sont la métaphore et la comparaison. La reconstruction d’un univers fantastique doit passer par ces figures analogiques. La combinaison de la métaphore et de la comparaison dans un même énoncé, l’étude de la comparaison à part et l’analyse de ses différents mécanismes, et l’intérêt porté à la métaphore chez cet écrivain, constituent une activité de mise en valeur de tous les thèmes et de tous les phénomènes du fantastique, cités dans ce travail. Constantes dans tous les récits de Gautier, la comparaison et la métaphore sont le signe d’un excès de la langue et du vocabulaire de ce genre. Elles réunissent les doctrines du poète qui se veut à la fois un romantique et un parnassien prônant une lecture imagée de ses productions. La troisième partie est centrée, alors, sur la dernière étape de l’écriture imagée en tant que lieu de croyance. C’est la croyance au pouvoir du style de Gautier qui réussit à transcrire le langage en images grâce au genre fantastique », écrivez-vous en guise de conclusion. Quelles sont les principales conclusions que vous avez tirées de vos travaux sur Théophile Gautier ? Autrement dit, célébré par Charles Baudelaire dans sa dédicace des Fleurs du Mal, Gautier est souvent considéré comme un écrivain de seconde zone. Qu’en pensez-vous ?

Salsabil Gouider : Je pense que Théophile Gautier possède une matière intarissable qui peut jusqu’aujourd’hui retenir l’attention des chercheurs en dépit de son classement en tant qu’écrivain de seconde zone ou non. Il est vrai qu’il s’attache passionnément à la beauté ou à l’esthétique formelles, et plusieurs théoriciens reprochent d’ailleurs son éloignement de tout engagement social. Cependant, son talent poétique ainsi que son œuvre fantastique ou aussi ses récits de voyage, ont pu marquer la scène littéraire. Je ne peux donc pas discuter son statut, mais je confirme que le travail sur ce poète est intéressant surtout avec une approche stylistique qui confirme bien l’originalité du langage de Gautier. Baudelaire disait déjà dans sa dédicace des Fleurs du Mal : « Au poète impeccable, le parfait magicien ès Lettres françaises, à mon très cher et très vénéré maître et ami Théophile Gautier avec les sentiments de la plus profonde humilité, je dédie ces fleurs maladives. C. B. »

 Je crois donc que c’est de la magie que naissent les mots de Gautier caractérisant ainsi son style scriptural singulier.

Salsabil Gouider invitée de Souffle inédit

 A.H : Enseignante-chercheuse en langue, littérature et civilisation françaises, que pensez-vous de l’avenir du français dans notre pays ? Le français est-il devenu une langue étrangère ?

Salsabil Gouider : À partir de mon humble expérience dans l’enseignement universitaire, je pense que le français est confronté dans notre pays à des défis plus qu’à des problèmes. Ces défis sont liés aux techniques et aux méthodes de l’enseignement de cette langue qui sont plus ou moins limitées par le contexte social et qui doivent impérativement être revisitées et repensées, car le français commence à sortir de l’usage quotidien. Les jeunes préfèrent plutôt l’arabe ou même l’anglais qui commence déjà à acquérir un statut bien déterminé. Je ne peux pas nier l’intérêt du français dans la communication ou encore dans les références de la recherche scientifique, car il demeure une langue de prestige et il est encore adopté dans l’enseignement de plusieurs disciplines à l’université tunisienne. Je vois donc que le français n’est pas devenu une langue étrangère. Cependant, il nécessite un travail « dur »/« sérieux » de mise en valeur et d’incorporation sociale obligatoire afin qu’il ne le devienne pas…

A.H : Est-ce que l’œuvre de Gautier est traduite en arabe ?

Salsabil Gouider : À ma connaissance, non ! L’œuvre de Gautier n’a pas été traduite en arabe. Peut-être existe-il des textes traduits dans des collections de littérature française ou autres, mais elles ne sont pas de toutes façons disponibles ou du moins citées dans le site officiel de la Société Théophile Gautier qui est la première source la plus fiable des références biographiques et qui sont régulièrement mises à jour au profit des chercheurs et des spécialistes de Gautier de différents pays. Voici le lien pour accéder au texte

A.H : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Quelles sont les œuvres qui vous interpellent ? Hormis les classiques, quels sont les écrivains modernes qui retiennent votre attention ?

Salsabil Gouider : Je travaille en ce moment sur les écrivains qui ont marqué la littérature fantastique du XIXe siècle tels que Alain Edgar Poe et Oscar Wilde afin d’examiner de nouveaux textes de cette littérature outre ceux de Gautier et d’élargir le champ de mes travaux qui privilégient généralement les classiques, car bien qu’ils soient bien  traités par les chercheurs, ils suscitent encore ma curiosité. D’ailleurs, le travail sur des textes traduits de l’anglais vers le français est très intéressant du point de vue interculturel aussi bien que langagier. Cela dit, il y a des écrivains modernes qui retiennent mon attention. Mes lectures sont variées. Il existe déjà des textes qui pourront faire l’affaire de mes travaux de recherche. Je cite Arthur Machen, Franz Kafka, Franck Thilliez, Gary Victor et bien d’autres dont les œuvres varient entre le fantastique et le polar qui s’inscrit déjà dans une perspective d’ouverture sur d’autres genres « paralittéraires ».

Il y a aussi les écrivains de la littérature francophone tels que Yasmina Khadra, Amin Maalouf, Yamen Mannaï…

A.H : Si vous deviez tout recommencer, quels choix feriez-vous ? Si vous deviez incarner ou vous réincarner en un mot, en un arbre, en un animal, lequel seriez-vous à chaque fois ? Enfin, si une œuvre de Théophile Gautier devait être traduite dans d’autres langues, en arabe par exemple, laquelle choisiriez-vous et pourquoi ?

Salsabil Gouider : Je ne recommence pas, je renouvelle et je crée.

Un mot ? Espoir. Un arbre ? L’olivier. Un animal ? Le chat.

Pour la traduction, je choisis sans hésitation La morte amoureuse. Cette nouvelle de l’amour frénétique très connue de Théophile Gautier, a fait l’objet d’une multitude d’études et de recherches. Elle a été adaptée également au théâtre en France par l’acteur Cyril Bernaux, seul sur scène à l’été 2023.

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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