Essai

Les mots du désir. La langue de l’érotisme arabe et sa traduction

Les mots du désir. La langue de l’érotisme arabe et sa traduction

Par Djalila Dechache

Les mots du désir, La langue de l’érotisme arabe et sa traduction

Les mots du désir, La langue de l’érotisme arabe et sa traduction, sous la direction de Frédéric Lagrange et de Claire Savina, Diacritiques Editions, Marseille, Collection sources et histoires des sources, 413 p, 2020.

J’ai cherché à lire et chroniquer le livre Les mots du désir, La langue de l’érotisme arabe et sa traduction, dans le cadre d’une recherche sur l’amour chez les Arabes, je voulais une étude récente sans tomber dans une hagiographie historique ou poétique.

J’ai eu le plaisir de lire cet ouvrage remarquable a réuni plus de plusieurs contributions d’universitaires français et anglais.

Comme il est précisé en introduction signée de Frédéric Lagrange, cet ouvrage rend compte d’un colloque éponyme « Les mots du désir, la langue de l’érotisme arabe et sa traduction », conçu et organisé par Frédéric Lagrange et Claire Savina en mai 2016, à Sorbonne Université et à l’institut du monde arabe à Paris.

Les contributions évaluées ont tenté de réponse à la question :

Comment traduire le désir ?

Question légitime dans une région du monde qui prône l’amour première finalité de l‘être humain, que l’on retrouve dans tous les arts figuratifs, chanson, littérature, cinéma, poésie, chez les philosophes, écrivains, poètes et mystiques ou plus simplement dans le langage quotidien.

La littérature de langue arabe combine les mots du corps, traduit en actes, fixant des normes à la sexualité, en se prononçant sur le licite, le légitime, le transgressif, l’interdit et on pourrait ajouter le caché .

Cette littérature use d’euphémismes, de métonymies et de métaphores, ces dernières traversent l‘ensemble des corpus. De plus c’est le propre de la langue arabe que d’user de métaphores que l’on retrouvent dans le Coran.

Treize articles jalonnent ce livre, répartis en trois axes méthodologiques : Mots du plaisir et orgies textuelles, jouissances licites, conseils, remèdes, et enfin transgressions exaltées, tabous et stigmatisations.

La professeure d’université Brigitte Foulon ouvre le premier axe avec une étude de mots de l’érotisme chez le poète andalous Ibn Khafâja ( XI-XII siècles). Sa démarche comparatiste consiste à s’adosser à son prédécesseur abbasside Abû Nuwâs ( VIII-IX siècles).

Quand le premier, resté célibataire, exhalait son hédonisme et son attrait pour la nature en y insufflant des métaphores propres à la passion, à l’amour et ses revers que sont notamment la séparation et la tristesse causée par la vieillesse, le second précurseur en la matière de la poésie érotique, s’adonnait également à l’épicurisme, ne cachant pas son homosexualité.

Nous sommes bien dans le registre du désir, les deux poètes établissent un lien entre poésie érotique et poésie bachique.

Madame Foulon a mis en avant les propriétés qui rendent une personne désirable à leur époque: un corps flexible, un visage radieux, un regard pénétrant doté d’un ‘idhâr (duvet sur les joues de l’éphèbe pubère). Avec un bon nombre d‘extraits de leurs dîwâns, l’universitaire passe en revue les exemples les plus significatifs.

Deux contributions suivent de Christian Junge qui développe Exposing the Eroticism of Words. How al Shidyâq Turned a lexicon into Literature et Dwight Reynolds livre un texte sur Music as Desire. Erotic Dimensions of Musical Imagery in the Muwashshah.

L’article de Marlé Hammond est une contribution portant le titre « The kiss in Egyptian Film Language of the 1940’s », présente une forme d’analyse philologique de l’érotisme à travers l’évolution du baiser au cinéma égyptien des années 1940.

Bien qu’il situe son étude sur les années 1940, ou début de l’âge d’or du cinéma égyptien, on est un peu en manque d’analyse sur le baiser qui constitue le premier pas de l’amour entre un homme et une femme. De plus si on regarde des affiches de films de cette époque la plupart porte un titre où le mot amour est présent et les affichistes sont restés prudents en peignant une scène de presque-baiser, par exemple entre Farid al Atrache et Magda dans « Min ajl hobi » de 1959. Il ne s’agit pas du French kiss ou de l’American kiss, néanmoins nous sommes dans l’intention du baiser compris de tous, peint, vu, admis. Plus encore les scènes dansées, toujours présentent à cette époque, montraient des ballets de femmes en short et cela ne gênait personne.

Les mots du désir, La langue de l’érotisme arabe et sa traductionhttps://ar.wikipedia.org/wiki/%D9%85%D9%86_%D8%A3%D8%AC%D9%84_%D8%AD%D8%A8%D9%8A_(%D9%81%D9%8A%D9%84%D9%85)
Affiche du film Min ajli hobi avec Farid al Atrache et Magda

Les années 80 ont été fatales au cinéma qui n’a plus du tout aucune audace, se conformant aux injonctions religieuses.

Pour revenir à l’article de Marlé Hammond, il a eu la bonne idée en appendice 1, de proposer des capture d’écran de films cités par lui-même : « Lie upon lie », « A kiss in Lebanon » ou encore « I killed my son » de Gamâl Makdûr ainsi qu’en appendice 2, un tableau, où l’auteur distingue les minutes où un baiser sur la bouche a lieu entre les protagonistes, ou un baiser sur la main, ou encore sur le front (pp 146-151).

J’ai effectué une recherche sur ce film, sauf erreur de ma part ce film n’est pas sorti en Egypte, peut-être dans un pays anglo-saxon. D’autre part, je voudrais souligner que, pour rester dans le registre du cinéma, ce sont des cinéastes égyptiens qui vivent hors de leur pays qui ont vraiment posé la question de la sexualité. J’en veut pour preuve le magnifique thriller Le Caire Confidentiel du cinéaste égyptien né à Stockholm en Suède, Tarik Saleh sortie en France en 2017 qui évoque le meurtre d’une call-girl dans un hôtel du Caire.Une grand réussite qui a été couronnée de prix internationaux.

Bien entendu d’autres contributions sont mentionnées dans ce livre très original et très riche.

Citons -les:

Désir sublimé, rationalisé, exposé, ridiculisé, la passion amoureuse dans la littérature arabe du VIII/XIV siècle de Monica Balda-Tillier, mettant l’accent sur le mode ‘udhrite ( courtois et platonique, et celui du Mujûn ( Ce n’est pas un genre littéraire mais un type d’écriture du libertinage jusque’à l’obscénité selon l ‘autrice).

Claire Savina s’est attachée à « De l’interprétation d’un traité de ‘ilm al -bâh à la réalisation du «  pornogramme » barthien. La traduction comme ravissement(s).

Shireen Hamza et Pernilla Myrne ont developpé respectivement Sex in the Kitchen. Aphrodisiac Recipes in Tench-Century Medicine and Cuisine et Words of Advice and Desire. women as Erotic Experts and Advisers in Premodern Arabic Erotica.

Rima Sleiman propose  » Ambivalence et désir paradoxal dans le roman arabe moderne », l’exemple de la femme à la fiole de Selim Matar.

Danilo Marino , a écrit le texte portant sur Le plaisir de l’ivresse. Haschich et littérature homoérotique à l’époque mamelouke.

Frédéric Lagrange a donné une contribution titrée Chanter le désir, mimer l’obscénité. Fantasmes masculins, agaceries féminines dans la chanson égyptienne, de l’ère des almées aux danseuses satellitaires et chanteurs toktok.

Mariem Guellouz quant à elle s’est attelée aux Pratiques langagières à l’épreuve des homosexualités.

Le dernier article et non des moindres est de Gabriel Semreme et porte sur Mithliyy, mithlak, langue et militantismes LGBTQ au Liban et en Palestine.

L’ensemble de l’ouvrage forme un tout cohérent, inédit et très intéressant à découvrir, afin de mieux comprendre la civilisation arabe dans ce qu’elle a plus raffiné pour éviter toute forme de censure, et de plus moderne par l’ouverture et la communication avec les autres cultures d’hier et d’aujourd’hui.

Des références de livre et d’études complètent l’ouvrage pour prolonger la découverte ou la recherche.

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