Anatole France – Mercredi en Poésie

Poésie
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Portrait d’Anatole France, écrivain majeur de la Troisième République, prix Nobel de littérature 1921, humaniste engagé et romancier à la plume raffinée.

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Anatole France, conscience littéraire de la Troisième République

Anatole France, de son vrai nom François Anatole Thibault, naît à Paris le 16 avril 1844 et s’éteint le 12 octobre 1924 à Saint-Cyr-sur-Loire. Écrivain, critique littéraire et intellectuel engagé, il incarne l’une des figures les plus éminentes de la Troisième République. Récompensé du prix Nobel de littérature en 1921, il est aujourd’hui reconnu comme un des grands noms des lettres françaises.

Fils d’un libraire passionné d’humanisme, Anatole France baigne dès son enfance dans un univers de livres et d’idées. Il débute sa carrière littéraire par la poésie, avec la publication en 1873 des Poèmes dorés, recueil qui révèle une sensibilité classique et une élégance d’écriture saluées par la critique.

Ce n’est cependant qu’en 1881, à l’âge de 37 ans, qu’il rencontre le succès public avec Le Crime de Sylvestre Bonnard, roman empreint de douceur et d’ironie, couronné l’année suivante par le prix Montyon de l’Académie française. Ce style, en rupture avec le naturalisme alors en vogue, allie finesse psychologique et érudition. En 1889, il reçoit également le prix Vitet, confirmant son statut d’écrivain accompli.

Essayiste prolifique, collaborateur de journaux et de revues prestigieuses, Anatole France se distingue par une pensée critique aiguisée et une vaste culture. Son œuvre, marquée par la raison, la satire et le scepticisme, offre une réflexion pénétrante sur la société de son temps.

Homme de lettres et de convictions, il s’engage résolument dans les combats politiques et sociaux du tournant du siècle. Défenseur de la laïcité, de la justice sociale et des libertés, il prend fermement position dans l’affaire Dreyfus, apportant son soutien à Émile Zola. Il s’élève également contre le génocide arménien et appuie la cause défendue par Archag Tchobanian. Par ses prises de position courageuses, Anatole France s’impose comme une conscience morale de la République.

Son œuvre, à la fois littéraire et politique, a durablement marqué son époque et continue de résonner par sa lucidité, son humour et son humanisme.

Anatole France

Anatole France - Mercredi en Poésie

Poèmes choisis 

À la lumière

Dans l’essaim nébuleux des constellations,
Ô toi qui naquis la première,
Ô nourrice des fleurs et des fruits, ô Lumière,
Blanche mère des visions,

Tu nous viens du soleil à travers les doux voiles
Des vapeurs flottantes dans l’air :
La vie alors s’anime et, sous ton frisson clair,
Sourit, ô fille des étoiles !

Salut ! car avant toi les choses n’étaient pas.
Salut ! douce ; salut ! puissante.
Salut ! de mes regards conductrice innocente
Et conseillère de mes pas.

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Par toi sont les couleurs et les formes divines,
Par toi, tout ce que nous aimons.
Tu fais briller la neige à la cime des monts,
Tu charmes le bord des ravines.

Tu fais sous le ciel bleu fleurir les colibris
Dans les parfums et la rosée ;
Et la grâce décente avec toi s’est posée
Sur les choses que tu chéris.

Le matin est joyeux de tes bonnes caresses ;
Tu donnes aux nuits la douceur,
Aux bois l’ombre mouvante et la molle épaisseur
Que cherchent les jeunes tendresses.

Par toi la mer profonde a de vivantes fleurs
Et de blonds nageurs que tu dores.
Au ciel humide encore et pur, tes météores
Prêtent l’éclat des sept couleurs.

Lumière, c’est par toi que les femmes sont belles
Sous ton vêtement glorieux ;
Et tes chères clartés, en passant par leurs yeux,
Versent des délices nouvelles.

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Leurs oreilles te font un trône oriental
Où tu brilles dans une gemme,
Et partout où tu luis, tu restes, toi que j’aime,
Vierge comme en ton jour natal.

Sois ma force, ô Lumière ! et puissent mes pensées,
Belles et simples comme toi,
Dans la grâce et la paix, dérouler sous ta foi
Leurs formes toujours cadencées !

Donne à mes yeux heureux de voir longtemps encor,
En une volupté sereine,
La Beauté se dressant marcher comme une reine
Sous ta chaste couronne d’or.

Et, lorsque dans son sein la Nature des choses
Formera mes destins futurs,
Reviens baigner, reviens nourrir de tes flots purs
Mes nouvelles métamorphoses.

Âmes obscures

Tout dans l’immuable Nature
Est miracle aux petits enfants :
Ils naissent, et leur âme obscure
Éclôt dans des enchantements.

Le reflet de cette magie
Donne à leur regard un rayon.
Déjà la belle illusion
Excite leur frêle énergie.

L’inconnu, l’inconnu divin,
Les baigne comme une eau profonde ;
On les presse, on leur parle en vain :
Ils habitent un autre monde ;

Leurs yeux purs, leurs yeux grands ouverts
S’emplissent de rêves étranges.
Oh ! qu’ils sont beaux, ces petits anges
Perdus dans l’antique univers !

Leur tête légère et ravie
Songe tandis que nous pensons ;
Ils font de frissons en frissons
La découverte de la vie.

Le désir

Je sais la vanité de tout désir profane.
A peine gardons-nous de tes amours défunts,
Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane
Y laisse d’âme et de parfums.

Ils n’ont, les plus beaux bras, que des chaînes d’argile,
Indolentes autour du col le plus aimé ;
Avant d’être rompu leur doux cercle fragile
Ne s’était pas même fermé.

Mélancolique nuit des chevelures sombres,
A quoi bon s’attarder dans ton enivrement,
Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres
Se plonger éternellement ?

Narines qui gonflez vos ailes de colombe,
Avec les longs dédains d’une belle fierté,
Pour la dernière fois, à l’odeur de la tombe,
Vous aurez déjà palpité.

Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes,
Vous épanouissant lorsque nous vous baisons,
Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes
Sèchent vos brèves floraisons.

Où tend le vain effort de deux bouches unies ?
Le plus long des baisers trompe notre dessein ;
Et comment appuyer nos langueurs infinies
Sur la fragilité d’un sein ?

Poèmes publiés dans le recueil Les poèmes dorés (1873).

Photo de couverture @Wikimedia 

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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