Anatole France – Mercredi en Poésie
Mercredi en Poésie avec Anatole France
À la lumière
Dans l’essaim nébuleux des constellations,
Ô toi qui naquis la première,
Ô nourrice des fleurs et des fruits, ô Lumière,
Blanche mère des visions,
Tu nous viens du soleil à travers les doux voiles
Des vapeurs flottantes dans l’air :
La vie alors s’anime et, sous ton frisson clair,
Sourit, ô fille des étoiles !
Salut ! car avant toi les choses n’étaient pas.
Salut ! douce ; salut ! puissante.
Salut ! de mes regards conductrice innocente
Et conseillère de mes pas.
Par toi sont les couleurs et les formes divines,
Par toi, tout ce que nous aimons.
Tu fais briller la neige à la cime des monts,
Tu charmes le bord des ravines.
Tu fais sous le ciel bleu fleurir les colibris
Dans les parfums et la rosée ;
Et la grâce décente avec toi s’est posée
Sur les choses que tu chéris.
Le matin est joyeux de tes bonnes caresses ;
Tu donnes aux nuits la douceur,
Aux bois l’ombre mouvante et la molle épaisseur
Que cherchent les jeunes tendresses.
Par toi la mer profonde a de vivantes fleurs
Et de blonds nageurs que tu dores.
Au ciel humide encore et pur, tes météores
Prêtent l’éclat des sept couleurs.
Lumière, c’est par toi que les femmes sont belles
Sous ton vêtement glorieux ;
Et tes chères clartés, en passant par leurs yeux,
Versent des délices nouvelles.
Leurs oreilles te font un trône oriental
Où tu brilles dans une gemme,
Et partout où tu luis, tu restes, toi que j’aime,
Vierge comme en ton jour natal.
Sois ma force, ô Lumière ! et puissent mes pensées,
Belles et simples comme toi,
Dans la grâce et la paix, dérouler sous ta foi
Leurs formes toujours cadencées !
Donne à mes yeux heureux de voir longtemps encor,
En une volupté sereine,
La Beauté se dressant marcher comme une reine
Sous ta chaste couronne d’or.
Et, lorsque dans son sein la Nature des choses
Formera mes destins futurs,
Reviens baigner, reviens nourrir de tes flots purs
Mes nouvelles métamorphoses.
Âmes obscures
Tout dans l’immuable Nature
Est miracle aux petits enfants :
Ils naissent, et leur âme obscure
Éclôt dans des enchantements.
Le reflet de cette magie
Donne à leur regard un rayon.
Déjà la belle illusion
Excite leur frêle énergie.
L’inconnu, l’inconnu divin,
Les baigne comme une eau profonde ;
On les presse, on leur parle en vain :
Ils habitent un autre monde ;
Leurs yeux purs, leurs yeux grands ouverts
S’emplissent de rêves étranges.
Oh ! qu’ils sont beaux, ces petits anges
Perdus dans l’antique univers !
Leur tête légère et ravie
Songe tandis que nous pensons ;
Ils font de frissons en frissons
La découverte de la vie.
Le désir
Je sais la vanité de tout désir profane.
A peine gardons-nous de tes amours défunts,
Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane
Y laisse d’âme et de parfums.
Ils n’ont, les plus beaux bras, que des chaînes d’argile,
Indolentes autour du col le plus aimé ;
Avant d’être rompu leur doux cercle fragile
Ne s’était pas même fermé.
Mélancolique nuit des chevelures sombres,
A quoi bon s’attarder dans ton enivrement,
Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres
Se plonger éternellement ?
Narines qui gonflez vos ailes de colombe,
Avec les longs dédains d’une belle fierté,
Pour la dernière fois, à l’odeur de la tombe,
Vous aurez déjà palpité.
Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes,
Vous épanouissant lorsque nous vous baisons,
Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes
Sèchent vos brèves floraisons.
Où tend le vain effort de deux bouches unies ?
Le plus long des baisers trompe notre dessein ;
Et comment appuyer nos langueurs infinies
Sur la fragilité d’un sein ?
Poèmes publiés dans le recueil Les poèmes dorés (1873).
Anatole France
Anatole France, de son vrai nom François Anatole Thibault, est né le 16 avril 1844 à Paris et s’est éteint le 12 octobre 1924 à Saint-Cyr-sur-Loire, en Indre-et-Loire. Célèbre écrivain français, il est considéré comme l’un des plus grands de l’époque de la Troisième République, et il a également marqué l’histoire en tant que critique littéraire éminent.
Son engagement en faveur de nombreuses causes sociales et politiques du début du XXe siècle a fait de lui l’une des consciences les plus significatives de son temps.
Récompensé du prix Nobel de littérature en 1921, Anatole France a débuté sa carrière littéraire avec « Les Poèmes dorés », un recueil de poésie publié en 1873, qui a rapidement mis en lumière son talent.
Sa carrière romanesque a commencé tardivement, mais son premier grand succès public est survenu à l’âge de 37 ans en 1881, avec « Le Crime de Sylvestre Bonnard ». Ce roman, couronné du prix Montyon par l’Académie française en 1882, se distingue par son style optimiste et parfois féerique, contrastant avec le naturalisme dominant à l’époque. Il a également été récompensé du prix Vitet en 1889.
Anatole France était également un brillant essayiste, ses critiques littéraires publiées dans des journaux et des revues prestigieuses témoignant de son analyse fine et de sa connaissance approfondie de la littérature française et étrangère.
Devenu un écrivain influent et respecté, il a milité en faveur de la justice sociale, de la liberté d’expression et de la laïcité. Il a dénoncé le génocide arménien et soutenu Archag Tchobanian. Son soutien à Émile Zola lors de l’affaire Dreyfus, après une réconciliation au début des années 1890, lui a valu à la fois des admirateurs enthousiastes et des critiques virulents.
Photo de couverture @Wikimedia
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