Silhouette parlante : le chant d’un écrivain qui n’écrit plus
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
Gérard Macé : le dernier des grands écrivains
Écrire ou ne pas être ?
Autant le dire tout de suite, Silhouette parlante, de Gérard Macé, publié le 16 janvier 2025, dans la collection « Blanche », aux éditions Gallimard, mérite plus qu’une simple note de lecture. Oui, une étude de fond mérite de lui être consacrée et, à partir de celle-ci, une relecture de son œuvre, de son Grand-Œuvre, mérite d’avoir lieu.
C’est en effet un lieu, celui où le monde se passe, se meut, s’agite, déferle même, tantôt calmement, souvent de la plus violente des façons. Or, en guise de dédicace, Gérard Macé, écrit ceci qui nous étonne : « Pour Georges Monti, qui ne veut pas croire que je n’écris plus. »
Comment un si grand écrivain, qui publie régulièrement, prétend-il ne plus écrire et, qui plus est, intitule la première partie de ce volume, « Je n’écris plus » ?
Et pourquoi cette dédicace à Georges Monti, le maître d’œuvre des éditions Le Temps qu’il fait, et pas à l’éditeur de ce nouveau volume, Antoine Gallimard ?
Pourtant au cours de ces dernières années, Gérard Macé a publié, au Temps qu’il fait, Bibliothèque tournante en 2024, Tambours debout en 2022, etc., c’est-à-dire jusqu’à l’année 1998 qui a vu paraître Le singe et le miroir, lequel volume a été repris dans Bois dormant, publié dans la collection « Poésie », chez Gallimard, en 2002.
Non, il ne s’agit pas d’un labyrinthe, image chère à l’auteur ; oui, il serait adéquat de s’attarder sur les dates, les éditeurs et les œuvres publiées par celui qui déclare au début de son dernier livre :
Je n’écris plus, mais la poésie me revient par bouffées, la poésie qu’on savait par cœur et dont on a honte aujourd’hui. Elle ressemblait à des cerfs-volants, à des grenouilles, à des papillons, à des bateaux mal peints que nous hésitions à mettre dans le grand bain, tant ils avaient l’air d’être faits pour le naufrage.
Elle ressemblait comme toujours
à la forge du ciel,
un soleil sur une enclume
Mais, vraiment, que se passe-t-il dans ce volume ? Est-ce le chant du cygne, l’âge, ou une pause qui se sert de ce qui n’est encore pas, ou de ce qui risque d’avoir lieu, afin d’écrire ?
« Par un grand écart que permet la poésie »
Comme nous venons de le lire et comme le revendique la quatrième de couverture, « vers et prose alternent, envers et endroit d’une même songerie, pour recueillir les bribes que le rêve ou le souvenir veulent bien donner à l’écriture difficile à naître de celui qui “n’écrit plus”. L’imaginaire rencontre la féerie, effrayante parfois comme dans les contes, et les objets, tessons du passé, se frottent aux citations fragmentaires, tessons de la bibliothèque. De l’impossibilité d’écrire toujours à l’évocation de la mort, de plus en plus pressante, le livre revient à l’enfance pour s’achever en apnée, “poche d’air sous l’avalanche”. »
S’il ne s’agit que d’un petit volume d’une centaine de pages, il n’en demeure pas étonnant, riche, enrichissant. À l’instar de cet étonnant texte, intitulé « Conseil aux musiciens » :
Aller en forêt
avec une hache,
pour en rapporter un piano.
Avec une serpe,
pour en rapporter un violon.
Avec une faucille,
pour en rapporter une flûte.
Puis se laisser guider par un aveugle
pour écouter les bruits de la rue.
Se laisser guider par un sourd
pour écouter le silence
où se réfugient les objets.
Lire, relire, relire encore ces « vers » rime à méditer en leur bonne compagnie. À ce titre, comme les poètes nommés dans le volume, Baudelaire, Rilke, Rimbaud, Nerval, Nietzsche et bien sûr Proust, les héros universels, à commencer par Ulysse, Gérard Macé occupe naturellement sa place de grand écrivain. Écrivain et poète, cela va de soi, car ce qu’il se passe désormais ici, sous cette plume de haut vol, c’est quelque chose qui dépasse l’écriture, la prose et la poésie. Ce qu’il se passe est plus grand, il est ici, « par un grand écart que permet la poésie », grâce auquel le dernier des grands écrivains « passe des chênes en Île-de-France aux séquoias d’Amérique, de [s]es propres souvenirs à ceux des Indiens dans la plaine. Des animaux qu’on enferme aux animaux sauvages. »
Silhouette parlante, de Gérard Macé, à lire, à méditer, à vivre ― pour entamer un nouveau quart de siècle digne de ce nom. Sans oublier de dire merci au « maître du jeu » !
Gérard Macé, Silhouette parlante, Paris, Éditions Gallimard, collection « Blanche », 108 pages, paru le 16 janvier 2025, ISBN : 9782073074218, 15 euros.