Poésie

Martin Zeugma – Poésie

Mercredi en Poésie avec Martin Zeugma

Martin Zeugma

Poèmes

« Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite »

Quand la nuit n’a guère passé son temps qu’à te livrer bataille

Écoutes-tu, écoutes-tu le cri du crépuscule qui déplie le jour comme un drap froissé mâtiné d’orange et de battements de cœur

Dans ton souvenir encore plein de l’effroi d’un champ ras de lassitude

Aussi bien qu’un regard aux yeux verts sur la pochette d’un 45 tours car

Aussi bien que l’odeur du pain grillé un dimanche matin de l’enfance car

Aussi bien que les baisers volés les brossages de dents les fois où l’on ya cru pour toujours

Car le même matin ne se lève jamais deux fois

***

« Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite »

Vivre à une époque où il n’a fallu faire aucun choix ni celui de collaborer ni celui de résister

Vivre à une époque qui n’a rien connu d’autre que d’apprendre à enfiler des capotes et aller acheter de la bière en canettes au supermarché

Quand d’autre sont fait des pyramides de crânes khmers

des vaccins contre la polio le tétanos la fièvre jaune ou la chiasse rouge quand d’autres ont cloué les couilles de leur voisin sur leur porte d’entrée quand on doit se contenter de ne rien faire et d’en être heureux.

***

« Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite »

Et moi ombre fluette y gratte obscurément

Et ma peau de métèque et mes mains de pianiste et je cherche les mots que je ne dirai pas

A ton cœur sourcilleux sur son chemin d’exode

Je n’ai d’autres pouvoirs que ceux que tu me donnes et je n’ai de magie que d’être ton miroir

tu bats en moi depuis le jour où je t’ai vue aux remparts de la vie revêtue de balafres

***

« Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite »

mais moi aussi je voulais une vie sans conscription et sans lit d’hôpital

une maison à la campagne des amis des fous rires et des coupes de glace en été moi aussi je voulais rencontrer une femme à qui j’aurais pu laisser feuilleter

les pages de mon cerveau et celles de mon cœur sans qu’elle prenne peur

mais moi j’ai trop chaud alors je me découvre mais moi j’ai trop froid alors je me couvre mais moi j’ai trop chaud alors

alors alors

***

« Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite »

avec ma gueule de moi

avec mon lit trop grand pour moi dans lequel j’oublie ma gueule et puis celles des autres

[mais] jamais la tienne non jamais la tienne avec mes mots trop gros qui cherchent à conjurer un trésor en poussière

Une somme d’objets partiels d’esquilles créditées de trahison

Dont seuls mes rêves continuent de me parler en coulisse

dans ce lit qui était déjà trop grand pour nous (je ne sais toujours pas où me rendre ni à qui) je regarde le miroir de mes souvenirs où je ne vois que des oublis ou des pas osés ou des pas [assez]

Avec ma gueule de bois

***

« Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite »

Avec ma fille nous regardons par la fenêtre le feu d’artifice du 15août elle est entre ivresse et vertige entre habitude et lassitude

Elle ne me demande pas pourquoi la ville tire un feu d’artifice à cette date-là elle attend la fin du bouquet final pour dire que c’était plutôt pas mal

Je trouve que ça résonne comme des coups d’artillerie et loin loin derrière j’entends des enfants pleurer leurs fenêtres à eux ont volé en éclats

Dans un ultime approvisionnement de la sauvagerie loin si loin du peuple de la dernière frontière

***

6 poèmes du recueil « Il y a des soirs qui si doux qu’aucun matin ne les mérite » :

54/100  – 62/100 – 67/100 – 70/100 – 73/100 – 94/100

Martin ZEUGMA

Martin Zeugma

Je suis né au milieu des années 70. J’ai commencé à écrire à l’âge de 13 ans sur la machine à écrire à ruban de ma mère, qui enseignait le secrétariat. Dès lors, je n’ai jamais arrêté, même si j’ai souvent changé de machine.

Depuis1997, j’ai publié180 textes (poèmes, nouvelles, et études biobibliographiques notamment sur Jean-Pierre Duprey et Paul Valet) dans 62 revues francophones (France, Belgique, Suisse, Sénégal, Canada, Haïti).

J’ai également participé à plusieurs anthologies : une nouvelle fantastique aux éditions La Clef

d’Argent («À l’assaut du ciel»,2021),une de nouvelles érotiques aux éditions Alopex («Si je te trouble»,2023), et deux de poésie aux éditions Luna Rossa (« Rouge»,2022 ;« Paris»,2023).

«Martin ZEUGMA entre dans une vraie solidité d’écriture, moderne, osée. Tout un monde se dissimule derrière un engagement évident à la peinture sauvage d’une société en suspens, un monde de sensations où rien n’est absent, de l’arrachement jusqu’à l’achèvement. Il suffit d’accepter les formes renouvelées de la dérive, les formes aspirées de la suspension. C’est en effet d’une sorte de spirale qu’il s’agit, capable d’ascendance autant que de perforation : l’être est un «muscle» qui grandit sous l’étreinte, mais souffre sous la contrainte. » (Paul SANDA, Pris de Peurn°12)

Le poète

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Magazine d'art et de culture. Une invitation à vivre l'art. Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.

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