Voilà vingt-cinq ans que les éditions Plon publient la collection « Dictionnaire amoureux… », où les goûts et les couleurs ne se discutent vraiment pas. Autrement dit, chacun y trouve son bonheur.
Dictionnaire amoureux du thé : un voyage sensoriel avec Ingrid Astier et François-Xavier Delmas
Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen
J’en possède personnellement quelques-uns : les deux volumes du très regretté Jacques Lacarrière, l’un dédié à la Grèce et l’autre à la mythologie ; celui du non moins regretté Bernard Pivot consacré au vin ; le substantiel Dictionnaire amoureux des Écrivains et de la Littérature, de Pierre Assouline ; celui de la Palestine, par Elias Sanbar ; sans oublier le Dictionnaire amoureux de Venise de Philippe Sollers.
J’ai même pu m’entretenir avec Jean-Paul Enthoven (dans La Presse de Tunisie, en janvier 2014) à l’occasion du prix Femina de l’essai attribué au Dictionnaire amoureux de Proust. Puis, pour son Dictionnaire amoureux de la Méditerranée, paru en mars 2015, Richard Millet m’a demandé une « Lettre sur les Printemps arabes ».
Aujourd’hui paraît le Dictionnaire amoureux du thé, d’Ingrid Astier et François-Xavier Delmas, un somptueux volume de plus de six cents pages où, de a à z, nous allons de l’ « Absinthe » à « Zhong », avec plus de deux cents entrées qui nous font voyager dans le monde, doux, infini, infiniment doux, du thé. À vrai dire, Ingrid Astier n’est pas à son premier coup d’essai en la matière, elle qui, au Mercure de France, a déjà publié Le goût du café, Le goût du chocolat et, bien sûr, Le goût du thé. L’éminente spécialiste de Cioran, autrice de polars remarqués, dont Quai des enfers, lauréat du Prix Lafayette (2010), du Prix Paul-Féval de la Société des Gens de Lettres (2010), du Prix Polar en plein cœur (2010) et du Prix Sylvie-Turillon en 2011, sait marier les mots et les sens, les lettres et les saveurs.
À ses côtés, François-Xavier Delmas, infatigable globe-trotter, chercheur de thé, qui parcourt les plantations de la planète depuis déjà quatre décennies à la recherche des meilleurs thés, fondateur en 1999, avec Mathias Minet, de L’École du thé où prospère la « tea sommellerie », et animateur du podcast « Un thé, un voyage », ainsi que du blog Chercheur de thé.

Le résultat est enivrant, tant ce Dictionnaire amoureux du thé est haut en couleurs et en saveurs. À ce titre, le mot qui pourrait s’imposer au lecteur avisé est « connaissance », non seulement parce que, dans connaissance, il y a naissance, mais encore parce que, à travers ce volume, nous prenons conscience de la richesse du thé, de sa valeur humaine et universelle, de ses vertus médicales, sanitaires, culturelles, civilisatrices et humanisantes.
Dans leurs avant-propos respectifs, Ingrid Astier et François-Xavier Delmas disent clairement les choses. Si l’une écrit : « Discipliner la fougue, décider d’entrées évidentes, et d’autres surprenantes. Renouveler le savoir par le vent frais de céramistes, de parfumeurs, de cuisiniers, d’artistes, d’un vigneron, de sommeliers et même d’un maître écuyer, pour incarner un regard contemporain sur le thé. La science n’a pas été oubliée avec un physico-chimiste penché sur les microbulles du match… », l’autre se confie en ces termes : « Le thé, j’y ai consacré ma vie. Quarante années. À parcourir le monde, à rencontrer des producteurs, à déguster sans relâche, à travailler avec des passionnés, à faire connaître aux néophytes, aux amateurs des thés dont ils ne soupçonnaient pas les charmes, à chercher à modifier le rapport que les Français entretiennent avec cette plante, avec cette boisson qu’ils ont ignorée pendant tant d’années, voire de siècles. Le thé, c’est ma vie, et une vie ne suffit pas ici à tout comprendre, tout connaître. L’univers du thé est aussi riche, aussi complexe que celui du vin. Et puis le thé m’apaise, il me fait rêver, me nourrit, m’évade, me réveille ou bien m’endort, me baigne, me stimule, me ressemble et m’interroge, m’emporte, me pose, me soulage, m’inspire, me fait faire des kilomètres sur des sentiers chaotiques, me relie. »
Après quoi, personne ne boira plus le thé de la même façon. Sans doute cela vaut-il pour tous les lecteurs de ce somptueux Dictionnaire amoureux du thé, mais, ici, je parle aux miens, aux Tunisiens qui, à la lecture de ce poème, se rendront compte que l’évidence n’existe pas et que boire du thé, comme nous le faisons au quotidien, c’est s’inscrire dans l’espace et le temps, c’est être nous-mêmes, avec, par et dans nos particularités, tout en étant universels. (Inclure la reproduction de la page Tunisie du Dictionnaire amoureux du thé)
Dictionnaire amoureux du thé, d’Ingrid Astier et François-Xavier Delmas, est beaucoup plus qu’un dictionnaire au sens scolaire ou académique de « recueil méthodique de mots rangés le plus souvent dans l’ordre alphabétique ». Il s’agit d’un « livre de chevet et de randonnée, inclassable et libre ― comme le thé », c’est-à-dire qu’il s’agit d’un compagnon de voyage, que celui-ci se passe dans une chambre ou dans un lit, comme avec Xavier de Maistre, ou à travers le monde, à la manière de Sindbad le marin, de Marco Polo ou, plus près de nous, de François-Xavier Delmas.
Dans tous les cas, lire ce précieux Dictionnaire amoureux du thé une tasse thé à la main, c’est vivre d’une manière singulière parce que plurielle. C’est voyager, à la fois par le corps et l’esprit, les sens et l’intellect. C’est s’ouvrir au monde afin de mieux le comprendre, pour peut-être enfin se comprendre.
Ingrid Astier et François-Xavier Delmas, Dictionnaire amoureux du thé, Paris, Plon, paru le 13 novembre 2025, 672 pages, 28 euros.





