Jacques Prévert, le rêveur d’images au Musée de Montmartre Paris
Par Djalila Dechache
Que savons -nous de Jacques Prévert ? Il est poète édité avec des livres destinés aux adultes et aux enfants, des poésies ont été apprises par cœur par des générations d‘écoliers, des chansons remarquables immortalisées (Les feuilles mortes, En sortant de l’école, Barbara…) par des voix remarquables jus- qu‘à Serge Gainsbourg qui a signé une chanson-dédicace en y associant Prévert et Kosma, le compositeur d’origine hongroise.
Il faut cette exposition du musée de Montmartre pour mettre l’accent sur d’autres domaines de Jacques Prévert qui a été scénariste, dialoguiste pour de nombreux films des années 40- 60 de Marcel Carné à Jean Renoir et Paul Grimault pour ne citer que ceux-là.
En réalité, cet artiste pluriel a participé au bouillonnement artistique et culturel de la France des deux guerres mondiales faisant de Paris le lieu du partage et de la porosité entre les arts. Tout le monde se stimulait mutuellement avec des créations magnifiques.
Jacques Prévert a incarné Paris de la plus intemporelle des façons avec son air et son cœur de gavroche devenu adulte, notamment avec cet aphorisme criant de justesse : « Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie » Jacques Prévert.
Jacques Prévert (1900-1977) est bien plus que tout ce qui a été dit, c’est un homme vivant, mouvant, d’une grande curiosité in- tellectuelle et picturale, il a eu le sens de l’amitié, des photos l’attestent dans l’exposition, où il pose avec Picasso notamment, où des oeuvres de Juan Miro lui sont dédicacées où lui- même signe des livres de bibliophilie de grande beauté et de grand format édités par la maison Maeght, que ce soit pour le peintre et sculpteur Alexandre Calder intitulé « Divines ». « Calder est un sorcier et la sorcellerie du bonheur c’est son fait » ( Jacques Prévert, Fêtes, 1971) et tant d’autres.
Cette année 2024 est celle du centenaire du surréalisme et du soixante-dixième anniversaire de l’installation de Prevert en 1955, au 6 bis, Cité Véron – juste au-dessus du Moulin Rouge dans le 18ème arrondissement, où il était voisin et ami de Boris Vian. Le musée de Montmartre offre la place nécessaire à celui qui fut un touche-à-tout, sans cesse en mouvement dont la création s’étend bien sur de nombreux domaines.
Créé en 1960 dans l’une des bâtisses les plus anciennes de la Butte construite du XVIIe siècle, le musée de Montmartre fut un lieu de rencontres et de résidence. Le 12 rue Cortot attira de nombreux artistes comme Renoir qui y eut son atelier tout comme Suzanne Valadon, Emile Bernard ou encore Raoul Dufy.
A un vol d’oiseau de la basilique du Sacré-Cœur, le quartier est très agréable, verdoyant, calme et chargé d’histoire.
L’exposition est composée de quatre parties suivant la chronologie, celle-ci se clôt en apothéose avec la restitution du bureau de travail de l’artiste à la Cité Véron. Comme le tableau le plus beau où l’on pourrait voir surgir Jacques Prévert lui-même. « Le temps et l’espace, l’espace et le temps laissent passer le temps, la vie est dans la mort, la mort aidant la vie » (Jacques Prévert dans soleil de nuit, recueil posthume 1980).
A commencer par son enfance durant laquelle sa mère lui lisait des livres d’histoires pour enfants. Puis il est scolarisé chez les prêtres. Jeune homme, chemin faisant il arrive rue au Château à Montparnasse, recueilli chez Marcel Duhamel où il rencontre Yves Tanguy. Ils inventent le jeu littéraire du cadavre exquis qui a fait le bonheur d’émissions de radio pendant de longues années.
L’écriture arriva plus tard après sa lecture de Lautréamont à la célèbre librairie d’Adrienne Monnier.
Notons la rencontre avec le groupe Octobre, né en 1920 par les trois trublions de l’époque que furent ces jeunes épris de liberté, Jacques Prévert, Yves Tanguy, qui deviendra un grand peintre surréaliste, et Marcel Duhamel, bienfaiteur et âme du lieu. Ils avaient transformé l’endroit en phalanstère soit une autre manière de vivre en collectif. Au sein de ce quartier vivant, la fête était érigée en état d’esprit perpétuel, d’autant qu’artistes et écrivains français ou pas ont fait du lieu un espace de liberté et l’un des grands lieux de l’histoire du surréalisme. Les habitués de l’endroit, ceux de passage comme d’autres installés à demeure furent : Louis Aragon, Elsa Triolet, Raymond Queneau, Robert Desnos, Benjamin Péret, André Breton ou Philippe Soupault.
Jacques avait un frère, Pierre, projectionniste de son état, les deux frères étaient nommés « Les Goncourt du cinéma français », une bien jolie expression qui inaugure l’entrée au cinéma français par la grande porte. Il signe un premier livre « Paroles » en 1946, réalise un premier film en 1948 « Souvenirs de Paris ou Paris Express ».
Puis arrive la partie Collages. : Picasso et Prévert deviennent amis « Picasso plaisante comme il dessine, comme il grave à vif … (Jacques Prévert, portrait de Picasso, 1959).
Le visiteur découvre de très belles réalisations de Jacques Prévert, certaines sont inspirées de peintres italiens, d’autres de photos personnelles. Il réalise de très belles interprétations en associant des idées, des formes, des couleurs donnant lieu quelque chose venue tout droit de sa pensée toujours vivace. Cette activité deviendra sa principale occupation jusqu’à la fin de sa vie. Il en fera des livres très intéressants donnant ses lettres de noblesse à ce qui est devenu un art pictural. « Aucune image n’est immédiate, toutes sont dans le loin, le tôt, le proche ou le tard » (Jacques Prévert, Imaginaires , 1970).
Une série d’Ephémérides ornent un espace très beau, très parlant d’inventivité et d’imagination. C’est une série de fleurs d’humeur plus ou moins joyeuses en couleurs, qui suivent son état d’esprit en suivant une datation d’un jour de la semaine, sans plus. Des rendez-vous sont notés succinctement. Ce sont des dessins au feutre, inspirés de Juan Miro et Max d’Ernst. » Jacques Prévert, l’ami intime des fleurs vivantes » (Henri Matisse 1948).
Il a composé lui-même ses livres-collages, tel que Fatras et Imaginaires, ils ont été exposés au château Grimaldi d’Antibes et à la Galerie librairie La Pochade à Paris. « Le collage est quelque chose comme l’alchimiste, l’image visuelle. Le miracle de la transfiguration totale des êtres et des objets avec ou sans modification de leur aspect physique ou anatomique, (André Breton, Paul Eluard, Dictionnaire abrégé du surréalisme, 1938).
Celui qui n’aimait pas se rendre au cinéma seul, celui qui ne se considérait pas poète, ne cesse de nous faire rêver, de nous emporter dans ces univers poétiques, oniriques, cinématographiques comme le montrent trois planches merveilleuses de deux films Les enfants du Paradis et Les visiteurs du soir.
Véritables outils de travail, ces planches sont des story-board impeccablement dessinés avec un sens du détail minutieux. « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses » (Le peintre et le Quai des brumes, film de Marcel Carné 1938).
Le final est comme un tableau d’opéra d’une grande émotion, inspiré par le grand décorateur de cinéma Alexandre Trauner. C’est assez émouvant de voir son bureau où il a passé les vingt dernières années de sa vie, sa grande table de travail de bois blond, les objets qui étaient les siens, les tableaux d’artistes inconnu(e)s, des crayons de couleur, des loupes, des livres anciens et tant d’autres choses dont une gerbe d’ail séché à usage prophylactique peut-être, lui qui fut anticlérical, antimilitariste, anticonformiste, surréaliste et surtout très humain. « Ma vie n’est pas derrière moi, ni avant, ni maintenant, elle est dedans » (Jacques Prévert dans Soleil de nuit, recueil posthume, 1980).
Une exposition très réussie qui éclaire, magnifie, éduque et très inspirante. Jacques Prévert est un éclaireur clairvoyant et immensément talentueux. Merci monsieur Prévert !
Plusieurs visites sont recommandées pour le plus grand bonheur du visiteur qui aura à vivifier la vie et l’art magnifiques de cet homme remarquable, discret, à la plume alerte et joyeuse, en prise avec son temps.
« Les écrits de Jacques Prévert sont édités dans la collection de « La Pléiade ». Une consécration bien méritée, pour un écrivain dont l’œuvre a longtemps dérangé, parce qu’il y manifestait avec virulence son engagement politique. Un militantisme qui date des années 1920, et de l’aventure du groupe Octobre ». (Texte éditeur).
Le catalogue de l’exposition est disponible à la librairie-boutique du musée Montmartre à Paris.
Une rétrospective Jacques Prévert à la Cinémathèque Française à Paris aura lieu du 19 au 24 décembre 2024 avec une quinzaine de films.
Un grand merci à Eugénie Bachelot-Prévert qui a animé la visite du groupe presse 1 avec beaucoup de ferveur et d’émotions.
Commissariat :
Eugénie Bachelot-Prévert, petite fille et unique ayant-droit de Jacques Prévert, artiste plasticienne, également présidente de l’association Chez Jacques Prévert (pour la sauvegarde de l’appartement parisien de Jacques Prévert).
Alice S. Legé, docteure en histoire de l’art, responsable de la conservation du musée Montmartre.