Poésie

Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui

Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui, Nom d’un pays et d’une poétique

Les jeudis littéraires d’Aymen Hacen

Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui

 Une anthologie : une parole donnée

Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui ― textes choisis et traduits de l’arabe par le grand poète Abdellatif Laâbi, et réunis par le romancier et animateur de télévision Yassin Adnan, sous la direction d’Alain Mabanckou qui anime la collection « Points Poésie » ―, rassemble vingt-six voix palestiniennes appartenant à la nouvelle vague poétique.

Ainsi, de Rajaa Ghanim, née en 1974 à Damas, à Yahya Achour, né en 1998 à Ghaza, en passant par Najwan Darwish, Hala Chrouf, Khalid Suleïman Al-Naciri ou encore Ashraf Fayad, pour ne citer que ces noms, le présent volume, paru en mars 2022 à l’occasion du Printemps des Poètes, inscrit la poésie palestinienne d’aujourd’hui dans son contexte à la fois poétique et politique, d’autant plus que cette somme est dédiée « à la mémoire des deux poètes palestiniens Mourid al-Barghouthi et Azeddine al-Manacirah qui nous ont quittés récemment. »

C’est donc avant tout une question d’héritage et de mémoire. Cela ne nous étonne guère de la part d’Abdellatif Laâbi et de Yassin Adnan qui, ensemble, quoi qu’appartenant à deux générations différentes des lettres marocaines et arabes, ont brillamment réussi ce travail de choix et de traduction, puisque la plupart des sensibilités et des expériences sont au rendez-vous, à commencer par le principe de parité : « Les poètes, femmes ou hommes, auxquels nous donne la parole ici sont éparpillés aux quatre coins du monde, regroupés dans des prisons à ciel ouvert ou fermé (Gaza, Cisjordanie, Jérusalem-Est), soufrant à l’intérieur d’Israël d’un apartheid qui ne dit pas son nom, entassés depuis des décennies dans des camps à eux consacrés par des pays limitrophes (Jordanie, Liban, Syrie), expatriés dans les pays du Golfe sans bénéficier d’aucun des droits de la citoyenneté. » (pp. 13-14)

Les mots d’Abdellatif Laâbi frappent tous azimuts. La plupart des régimes arabes, tout comme Israël, se livrent depuis plus de 75 ans à une politique génocidaire à l’égard du peuple palestinien. Les derniers événements auxquels nous assistons depuis le 7 octobre 2023 n’en sont que la énième illustration.

La chute du poème de Najwan Darwish, « Dans l’attente du sauveur », en dit long, ne serait-ce qu’ironiquement, sur cette situation tragique :

« Quant à moi

j’ai mis mon salut sur mon dos

et je le trimballe

comme un châtiment » (p. 56)

 

« … le nom d’un Pays, la Palestine, est devenu en soi une poétique »

Dans son introduction, Abdellatif Laâbi, que nous pouvons également appeler « Abou Qods », sa fille benjamine étant née en 1972 au moment où il est arrêté et torturé pour un complot qui n’a d’autre nom que les titres des revues qu’il a fondées et animées, Souffles et Anfas, écrit : « À la seule énonciation du nom de Palestine (histoire, terre, pays, peuple, cause de justice, combat pour la vie, et maintenant pour la survie), la poésie se présente comme une invitée qui ne se fait pas prier. Fait rare dans l’histoire de la littérature, le nom d’un pays, la Palestine en l’occurrence, est devenu en soi une poétique. » (p. 11)

Voilà qui est dit, et pas seulement dit : le poète marocain, qui est avant tout une conscience universelle, dit les choses de la plus belle et de la plus courageuse des manières. Ce n’est pas une position ponctuelle, pour ne pas dire opportuniste. Non, c’est l’engagement d’une vie et surtout un travail de longue haleine puisque nous devons à la revue Souffles les premières traductions des poètes et de la littérature palestinienne en français, dont Mahmoud Darwich, Samih al-Qâsim et Ghassan Kanafani. Illustres noms auxquels il faut ajouter les jeunes voix d’Ashraf Fayad, détenu dans les geôles saoudiennes de janvier 2014 à la fin du mois d’août 2022, et du brillant Najwan Darwish. Et le présent volume de sceller cette union littéraire sacrée qui semble vouloir prendre la Palestine ― la terre et la poésie tout à la fois ― à bras-le-corps. À ce titre, le lecteur français ou arabe francophone pourra se faire une opinion digne de ce nom sur la puissance et l’originalité de la littérature palestinienne qui témoigne de l’enracinement des poètes palestiniens eux-mêmes, lesquels, qu’ils soient en Palestine occupée ou exilés dans le monde entier, sont pareils à ces oliviers plusieurs fois millénaires ― éternels, fidèles bien ancrés en terre.

À l’instar de feue Colette Abu Husseïn qui, née au Koweït en 1980 et décédée en 2018 en Jordanie, nous interpelle en ces termes, dans un poème qui porte bien son titre : « Mes amis poètes » :

Amis poètes

vous êtes indispensables

à l’accomplissement de mon poème

 

Nous sommes les descendants du meurtrier

et les cousins de la victime

Les héritiers du péché

Les ouailles des corbeaux

dans la terre dévastée

 

Nous sommes les rescapés du piège de la vertu

et du bien mensonger

Les déchus du paradis de Dieu

Les porteurs des étendards du mal dans son enfer

C’est pourquoi

nous aiguisons nos poignards

et nous dormons

en rêvant des cous frais

de la fraternité.

L’anthologie

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