Mammouth d’Eva Baltasar

Roman
Lecture de 6 min
@ WIKIMEDIA

Mammouth d’Eva Baltasar : Entre solitude et renaissance

Par Djalila Dechache

Poétesse et romancière, la catalane Eva Baltasar nous prend dans ses filets dès les premières lignes. Elle écrit comme elle respire si bien que l’on pourrait entendre sa voix dire ce qu’elle écrit.

Mammouth d’Eva Baltasar

Une ode à la liberté et à la résilience dans une vie réinventée

Son personnage principal est une jeune femme de 24 ans, sociologue, elle participe à une étude collective sur les personnes âgées, vit en co-location dans un appartement à Barcelone et décide d’avoir un enfant toute seule. Elle organise une soirée arrosée avec des amis d’amies pour arriver à ses fins un soir de fertilité, sauf que cela ne marche pas.
Elle démissionne lorsqu’elle comprend que son métier la transforme en « technicien de la vacuité » c’est -à-dire à pas grand-chose.
Les crédits d’état financiers pour les études de terrain en université étant réduits, elle doit trouver un travail, aussi précaire qu’inintéressant. La machine économique fait son travail de laminage réducteur, la voici sans logement, sans travail, seule, sans statut dans un village en Catalone, après avoir écumé à bord de sa vielle voiture « de la taille d’une boîte à œufs ». Les agences immobilières du coin, elle s’installe, moyennant in faible loyer, dans un mas mal en point et isolé.
Très sensible aux fluctuations météorologiques en ville, elle découvre les joies de la promenade dans la nature, se réconcilie avec les bruits et sons de la campagne.

 Parfois on se dit que l’on connait cette jeune femme, que nous l‘avons déjà rencontrée, elle est proche de nous, on la comprend, on partage un certain nombre de ses remarques, de ses affirmations, de ses analyses. Rien ne différencie la France de l‘Espagne, bien contraire, c’est l‘uniformisation dans ses moindres recoins de l’Europe.
Et puis Eva balthazar a un style propre que l’on n‘a pas lu en France: un style vif, alerte, attachant, agréable, on ne peut arrêter la lecture, on est pris dans ses questionnements, ses images fortes, ses brûlures aussi ; elle use de comparaisons drôles, vivifiantes, cocasses.

« Je vivrai ici accrochée à la roche telle une racine, aspirant sa substance jusqu’à m’y user chaque doigt, chaque dent, et chacune de mes pensées ».

Petit à petit elle prend possession de sa nouvelle habitation, fait le tour du propriétaire et décide de prendre un bain dans un baquet, après avoir défriché à mains nues le chemin qui mène au mas délabré: « comme on doit se sentir propre après être sorti d’un ventre, après le premier bain ».
Son seul voisin est un berger d’environ 60-65 ans, avec ses 500 moutons qui paissent devant le terrain du mas (…) de temps en temps, je le fais rire, il me regarde avec des yeux d’un bleu très frais. Ce sont des yeux de tout jeune garçon qui me boivent ». 

Se passer de ….. est le terme de ma libération

Parfois elle rappelle l’autrice Deborah Warner dans les détails qu’elle érige en splendeur.
En trois chapitres, elle fait l‘expérience de la solitude totale, retirée de la vie sociale où quoi que l’on soit et quoi que l‘on fasse la société produit le même résultat, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Elle fait sa reconversion, devient paysanne, apprend à vivre avec peu, fait corps avec la vie loin de la ville au milieu des chèvres, des moutons, fait des provisions pour l‘hiver, recueille Toc-Toc, un chien miteux, vit au rythme des saisons, devient serveuse le week-end à l‘auberge du village, en un mot elle est utile, elle existe.

A bien y regarder, on se dit que sa vie est une vie idéale, tout va bien, tout se fait sans obstacle, sans accroc, tout le monde est à l’unisson. Cependant est-ce bien réel ? Est-ce bien comme cela que cela se passe lorsque des citadins colonisent, individuellement ou collectivement la campagne ? Cela fait plaisir bien sûr, on se dit qu’une autre vie est possible en oubliant la multitude de la ville.

Eva Baltasar nous fait rêver avec son héroïne, revenue de tout, s’adaptant à sa vie rustique, tentant sa chance loin de la foule écrasante. Son désir d’enfant s’est tu au profit de son désir de liberté et son absence de formalisme.
Elle prend la vie comme elle vient …. C’est sans doute cela le bonheur, cette capacité fascinante à se laisser bercer par ce qui vient. Il faut être très forte pour réussir cela.

Lorsqu’elle tombe enceinte du berger, elle prend son ventre pour un garde-manger. Elle accouche seule à l’hôpital le plus proche. Rentrée chez elle s’enferme plusieurs jours prétextant une grippe.
Le paradigme propre à la sociologie et à l’anthropologie liant culture et nature est fort habilement développé ici. La traversée des deux sphères n‘en est que plus réussie.

Une histoire et une écriture remarquables qui suit le lecteur longtemps.

 Mammouth d’Eva Baltasar : Roman traduit du catalan par Annie Bats – Editions Verdier,128 p.2024.
Photo de couverture : Crédit @ WIKIMEDIA 

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Souffle inédit est inscrit à la Bibliothèque nationale de France sous le numéro ISSN 2739-879X.
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