Roman

Rachida Brakni, Kaddour

Rachida Brakni, Kaddour

Par Djalila Dechache

Rachida Brakni, Kaddour

C’est une histoire qui arrive à ceux qui ont quittés leur terre, leur pays. Dans ce livre intitulé sobrement au seul prénom du père de l’autrice, il s‘agit de la relation entre des Algériens et la France, pays d’accueil. Des hommes pour l’essentiel, venus en éclaireurs ont été encouragés à venir y travailler, pour reconstruire ce pays qu‘ils ne connaissaient pas si ce n‘est par les années de colonisation puis de guerre.

Ils y resteront bien plus longtemps qu‘ils ne le pensaient, jusqu’à leur retour au pays au moment de leur retraite pour les plus chanceux, ou jusqu‘à leur mort dans un hôpital ou chez eux pour les autres. Dans ce cas, certains laissent la volonté consignes d’être enterrés en Algérie comme un juste retour des choses.

C’est ainsi que le livre commence, avec le détail des problèmes engendrés, ceux de l‘administration de l‘hôpital puis des pompes funèbres, a fortiori en période de Covid. Nous sommes dans une période difficile située entre le 15 et le 20 août 2020. L’Algérie pour le rapatriement de tout corps, exige un certificat prouvant que le défunt n‘est pas mort du mal du XXIème siècle qui a décimé des millions de morts dans le monde.

 

Le plus difficile sans doute est la visite pour dire adieu à la morgue. Déjà Kaddour qui a beaucoup travaillé au cours de sa vie en tant qu’ouvrier, n’est plus là, c’est un corps, on dit bien une dépouille, exposée sur le froid glacial de la table grise.

Tout le passé de la narratrice remonte à la surface, ressurgit détail par détail, point par point, une vie de labeur, de constructions, de rêves réalisés, de bons moments, avec les enfants devenus adultes à leur tour. Une fille aînée de la fratrie, comme le veut la coutume, c’est elle qui s‘avance la première, pour gérer la famille, pour les démarches avec l’imam chargée de la préparation du défunt, les rituels, les prières, et le reste, dans cette famille par si différenciée des autres familles d‘Algériens en France.

Rachida Brakni, discutait avec son père, elle avait une relation privilégiée avec lui, il a bien accepté son désir d‘être comédienne, ce qui est plutôt rare.

Le pilier de la famille

Son père décédé, elle doit seconder sa mère qui bien que très entourée pour la circonstance ne se rend pas bien compte de ce qui se passe.

Les visites des proches bien qu’elles peuvent paraitre envahissantes, aident à passer ce cap atroce, atténuent la peine, la douleur qui restent toujours mais de manière moins violente. On se sent tout simplement moins seul (e) pour affronter la vie.

Le père, c’est toujours la figure centrale de la famille, la mère l‘est aussi, dans une autre mesure est tout aussi importante. Si l’un des piliers tombe, le reste de la maison restera bancal. S’agissant de Kaddour il voulait avoir un pied à terre en Algérie où les siens, ses ancêtres ont vécu et semé.

Tant que les parents sont là, ils constituent un rempart contre la mort, on ne peut mesurer leur importance lorsqu‘ils sont vivants, on ne peut emmagasiner tout leur amour, toute leur présence, leur mort survient inexorablement, c’est alors le saut dans le vide, le néant, l‘absence prend toute sa place, on se sent orphelin(e) et il faut composer avec ça ! On devient plus adulte encore et devons vivre sans filet.

Rachida Brakni a écrit un texte dense, précis, plein d‘affection mesurée, on l‘entendrait presque dire ce texte tant les mots coulent naturellement d’elle.

Elle s’est brillamment singularisée au théâtre puis au cinéma et au chant, là voici autrice, avec un livre est très réussi, touchant du début à la fin sans tomber dans le pathos et superbement bien écrit.

A partir de l’instant où Kaddour n’est plus en vie, même si Rachida Brakni se surprend malgré la dure réalité, à espérer qu’il soit toujours là au détour d’un couloir, commence alors le difficile travail de deuil, de l’absence, le manque, la perte. Rien ne peut consoler de cela. C’est l’épreuve majeure de notre destinée.

« (…) Et avant tout, jai voulu rendre hommage à lhomme sans qui je ne serais pas la femme que je suis » a dit Rachida Brakni.

Kaddour, Rachida Brakni, Editions Stock, 2024,197 p.

Photo de couverture ©Dorian Prost

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